Guillaume, duc d’Aquitaine, comte de Poitiers (1071 – 1127) : « Tout éjoui je ressens en amour... » /«Mout jauzens me prenc en a
Chanson
Tout éjoui je ressens en amour
Une joie que je veux éprouver plus vive,
Et puisque à cette joie je veux m’en tenir
Je dois faire tout mon possible
Auprès de la plus belle entre les dames
Que l’on peut voir et entendre.
Vous le savez, je n’ai de quoi me faire valoir
Et je ne sais m’envelopper de grands éloges.
Mais si jamais une joie peut fleurir,
Par-dessus toutes celle-là doit donner grain
Et sur les autres l’emporter en éclat
Comme le soleil éclaire un sombre jour.
Jamais homme ne put en imaginer
Une telle, ni en vouloir ni en désir,
Ni en pensée ni en songe ;
Une telle joie ne peut trouver son égale
Et qui s’aviserait de la louer
N’aurait trop d’un an pour y parvenir.
Toute joie lui doit soumission,
Et tout pouvoir obéissance
A ma dame, pour son bel accueil
Et pour son égard si plaisant ;
Et il gagne plus de cent ans de vie
L’homme dont s’empare cette joie d’amour.
Par sa joie peut guérir les malades,
Par sa colère les bien-portants faire mourir,
D’un homme sage faire un fou,
D’un homme beau la beauté changer,
Le plus noble rendre vilain
Et du plus vilain faire un noble.
Puisque plus gente on ne peut trouver
Ni voir de ses yeux ni dire de sa bouche,
Près de moi je la veux retenir,
Pour rafraîchir l’intérieur de mon cœur,
Pour rendre jeunesse à ma chair
Et l’empêcher de s’envieillir.
Si ma dame veut m’accorder son amour,
Je suis prêt à le prendre avec reconnaissance,
A le tenir secret et à le choyer,
A ne dire et faire que pour son plaisir,
A tenir grand cas de ce qu’il vaut
Et ses louanges faire retentir.
Je ne lui ai rien fait savoir par autrui
Tant j’ai peur qu’aussitôt elle se fâche,
Et pour moi non plus, tant je crains de faillir,
Je n’ose lui déclarer mon amour ;
Mais c’est elle qui doit choisir au mieux pour moi,
Puisque je sais qu’elle seule me peut guérir.
Traduit de l’occitan par Suzanne Julliard
In, « Anthologie de la poésie française »
Editions de Fallois, 2002
Vers
Moult joyeux me prends à aimer
Une joie et plus m’y veux plonger,
Puisqu’à joie veux m’abandonner
Bien juste, si peux, au mieux aller,
La plus parfaite rechercher,
Que l’on puisse voir et entendre.
Le savez, ne me veux vanter,
De grands laus ne me sais couvrir,
Mais si onc joie peut fleurir,
Celle-là doit son grain porter
Et entre toutes resplendir
Comme soleil en sombre jour.
Onc homme ne peut l’imaginer
Dans le vouloir ou le désir,
Ou en pensée ou en rêve ;
Telle joie ne se peut trouver,
Et qui bien la voudrait louer
D’un an n’y pourrait parvenir.
Toute joie doit s’humilier
Et toute puissance obéir
A ma dame, pour son bel accueil
Et son bel et plaisant égard ;
Tel homme peut bien cent ans durer
Qui joie de s’amour peut saisir.
Par sa joie peut malade guérir,
Et par son ire les sains occire,
D’un sage elle peut faire un fol,
A bel homme sa beauté ravir,
Et le plus courtois avilir,
Et chaque vilain faire ennoblir.
Puisque meilleur ne peut trouver,
Ni d’yeux voir ni de bouche dire,
Près de moi la veux retenir,
Pour mon cœur dedans rafraîchir
Et pour ma chair renouveler
Et pour m’empêcher de vieillir.
Si ma dame (me) veut s’amour donner,
Saurai le prendre et remercier,
Tenir secret et la louer
Et pour son plaisir dire et faire
Et son prix bien apprécier
Et ses louanges publier.
Par autrui n’ose rien mander
Telle peur ai qu’elle s’irrite,
Ni de même, tant crains faillir,
Ne lui ose lui m’amour monter ;
D’elle j’attends mon allégeance,
Car seule elle peut me guérir.
Adaptée de l’occitan par France Igly
In, « Troubadours et trouvères »
Pierre Seghers, 1960
Joie d’amour
Tout joyeux d’une joie d’amour,
Plus profond je m’y veux plonger,
Et puisque veut parfaite joie,
Tous mes efforts ferais porter
Vers la parfaite entre les dames,
La plus belle à voir et à entendre.
Le savez, n’ai de vantardises,
De grands laus ne me sait couvrir,
Mais si jamais joie peut fleurir,
Celle-là son grain portera,
Entre toutes resplendira
Comme soleil en sombre jour.
Quel homme en imagina telle,
Dans le vouloir et le désir,
Par la pensée et par le rêve ?
Telle joie reste sans pareille.
Qui la veut fleurir de louanges
D’un an n’y pourra parvenir.
Toute joie devant elle cède,
Et tout pouvoir doit obéir
A ma dame pour bel accueil
Et son bel et plaisant égard.
A celui-là cent ans de vie
Que saisit cette joie d’amour.
Par sa joie peut guérir malade,
Par son courroux les saints occire,
D’un sage elle peut faire un fol
Et le plus beau peut enlaidir,
Le plus noble peut avilir
Et du plus vil tirer un noble.
Puisque telle on ne peut trouver,
Ni d’œil ni de bouche dire,
Près de moi la veux retenir
Pour le frais du fond de mon cœur
Et le renouveau de ma chair
Et pour m’empêcher de vieillir.
Si ma dame m’accorde amour,
Saurait le prendre et reconnaître,
Tenir secret et bien louer,
Pour son plaisir et dire et faire,
Et bien lui accorder son prix,
Et ses louanges publier.
Ne lui ai fait porter message,
Si grande peur j’ai qu’elle s’irrite,
Et non plus, par crainte de faute,
N’ose lui montrer mon amour.
D’elle j’attends mon allégeance,
Car seule elle peut me guérir.
Traduit de l’occitan par Georges Ribemont-Dessaignes,
In, « Les troubadours »
Egloff, Genève, 1946.
Du même auteur :
« Puisque j’ai le désir de chanter... » / « Pos de chantar m’es pres talenz... » (19/09/2021)
« À la douceur du temps nouveau... » / « Ab la dolchor del temps novel... » (19/09/2022)
« Je ferai une petite chanson nouvelle... » / « Farai chansoneta nueva... » (19/09/2023)
Canso
Mout jauzens me prenc en amar
Un joy don plus mi vuelh aizir,
E pus en joy vuelh revertir
Ben dey, si puesc, al mielhs anar,
Quar mielhs onr’am, estiers cujar,
Qu’om puesca vezer ni auzir.
Ieu, so sabetz, no’m dey gabar
Ni de grans laus no’m say formir,
Mas si anc nulhs joys poc florir,
Aquest deu sobre totz granar
E part los autres esmerar,
Si cum sol brus jorns esclarzir.
Anc mais no poc hom faissonar
Co’s, en voler ni en dezir
Ni en pensar ni en cossir ;
Aitals joys no pot par trobar,
E qui be I volria lauzar
D’un an no y poiri’avenir.
Totz joys li deu humiliar,
Et tota ricors obezir
Mi dons, per son belh aculhir
E per son belh plazent esguar ;
E deu hom mais cent ans durar
Qui’l joy de s’amor pot sazir.
Per son joy pot malautz sanar,
E per sa ira sas morir
E savis hom enfolezir
E belhs hom sa beutat mudar
E’l plus cortes vilanejar
E totz vilas encortezir.
Pus hom gensor no’n pot trobar
Ni huelhs vezer ni boca dir,
A mos ops la vuelh retenir,
Per lo cor dedins refrescar
E per la carn renovellar
Que no puesca envellezir.
Si’m vol mi dons s’amor donar,
Pres suy del penr’e del grazir
E del celar e del blandir
E de sos plazers dir e far
E de sos pretz tener en car
E de son laus enavantir.
Ren per autruy non l’aus mandar,
Tal paor ay qu’ades s’azir,
Ni ieu mezeys, tan tem falhir,
No l’aus m’amor fort assemblar ;
Mas elha’m deu mo mielhs triar,
Pus sap qu’ab lieys ai a guerir.
Poème précédent en occitan :
Marcela Delpastre : « Entre toutes choses... » / « Entre tot... » (01/04/2020)
Poème suivant en occitan :
Jaufre Rudel: « Ne sait chanter qui ne dit rien... » / « No sap chantar qui so non di... » (22/10/2020)