Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
25 août 2020

Denis Rigal (1938 - 2021) : Problématique

 

AVT_Denis-Rigal_1764[1]

 

Problématique

 

1

Le clos divin visage gravite

parmi les glyphes du zodiaque

de chancre en pucelle et vice

verseau selon le jeu de lois

cosmique, passe un tour, manque

une révolution et revient

à la case vide de toute histoire

pour la permutation sempiternelle

des absences     et nul

désir ne le fera tomber hurlant

dans l’existence

                           nulle parole

fût-elle par ludique infraction dardée

dans l’infertile et le silence des espaces

 

                                     et ce pendant

il pleut sur la planète du sable

de la pluie grise et de la mort

disséminée ; les hommes sont

des os qui se brisent ; les chiens

dévorent les génisses vivantes.

Quelqu’un sur le pont qui tremble

essaie de parler

 

2

Un homme accroupi hasarde

des signes sur le sable

                    , lève les yeux

vers la mer illisible

- lui et beaucoup d’autres

à tous les bouts du monde –

 

un brandon paraphe le corps de la nuit

qui se referme

elliptique et heureuse

 

la mer efface, la nuit absorbe

la trace, non le tracé

 

3

Il se fait de petites paroles,

un ruisselis perdu dans l’improbable

invoque en vain des mers fertilement

salaces, saillies de rocs

inentamés, ou bien le rostre abrupt

du dieu très-haut dans la tourmente

et toujours au même bord dé

failli chant cèle toujours

la même peur et il n’y a

rien à trouver que la présence

impaire du présent, les enfants

et les chiens sous les ormes cossus,

leurs jeux de balle, et les rosiers naïfs

sur le mur blanc

 

4                                        

                                      parfois

un peu de paix devant le feu ouvert

et le corps souvenu, le corps terrestre

(si l’amour est ce rythme dormant

dans la prose des chairs)

comme on se souviendrait d’un pays

autrefois traversé, un pays lent

où rien n’est arrivé que l’évidence

et la répétition heureuse des secrets

                                               rien

que le vent limpide

 

5

malgré les grandes meutes de l’automne

les chiens de sang lâchés sur nous comme si

nous étions une blessure à racheter,

des crucifiés pour mémoire, prophètes

putatifs du radieux millénaire et non

la fortuite grandeur dans l’éternité

(quasi) de l’espèce, le fer porté

dans le bois mort,  le cri rebelle

et ce sanglot dans la nuit somptueuse.

 

6

car ce qui est écrit est écrit, et pourtant

ta chevelure n’est en aucune façon semblable

à un troupeau de chèvres et tes seins ne

sont pas des faons jumeaux

 

mais sont la source du temps

qui protège du temps ?

 

mais sont la chair parfaitement provisoire

du temps ?

 

(ainsi déchante et chante, sage, vieux,

perplexe,

Salomon)

 

mais sont.

 

et n’y a vérité que la chair démente ;

tu es bien un jardin enclos

(qui ne m’appartient pas)

et le miel et le lait sont sous ta langue

 

pour l’ours et le bourdon et le tendre

serpent

cryptique.

 

Ainsi sois-tu.

 

7

le troisième jour vinrent les pluies

acerbes

da capo :                         comme à tout

recommencement quelqu’un marchait

sur une route dans le temps criblé,

sa vie de cendre et l’herbe rebroussée

sous la suffisance de dieu. Quelqu’un

dans le lit du vent vers l’espace

congru à sa solitude      , propice

 

à quelques paroles pour rien

contre rien

                 contre temps

                                       contre fables

contre

 

au ciel il y avait des noirceurs

et la biaise lumière

tombait des nues sur les champs

rectifiés et sur les droits chemins

 

8

il faut soigneusement sagacement

ses lentilles polir           besogner

l’honnête matière

 

et je ne me sens plus guidé

par les hâbleurs, le nombre d’or

et le mandala (mandala a farsi friggere !)

j’ai cessé de persévérer

dans mon naître (les lyriques

enfances où retomber ! j’étais

maîtresd es sources, je suscitais

des oiseaux, et j’étais au centre

parbleu ! – et par bourrasques plus encore.

Ah je m’en souviendrai d’Augustin Meaulnes !)

 

9

Tu écoutais l’enclume légère

tu étais dans l’été immense

et fluide, dans le temps mesuré

et le juste milieu du monde

entièrement visible comme la femme

un jour surprise très nue

dans la fraîcheur de l’eau, très blonde

Cérès rendant hommage

à sa propre évidente merveille

et qui riait (je l’ai vue)

Tu ne rêvais pas.

 

10

patient tu grattais le givre soufflais

la syllabe chaude un cercle incessamment

repris par les cristaux prédestinés

le temps à peine d’apercevoir la neige

parfaite et ce silence ce grondement

énorme dans la tête : la nuit m’a vu !

 

et demain les chasseurs iront en bande

battre les grands bois noirs

que tu ne connais pas reviendront

au soir avec des bêtes rousses un solitaire

déjà châtré on te montrera les grès

et les défenses tu regarderas la lame

qui cherche la chevrotine aplatie

sur l’os tu les verras clouer les pieds

au linteau jeter les entrailles aux chiens

sanglants dans la tiédeur de l’étable.

 

11

veilleur près l’endormie, songeant

à la permanence des eaux,

au temps à la taille de guêpe

qu’il serait bon d’étreindre encore

si poignant qu’il soit, et si noir

son venin ; on est dans les lointains

déjà, et dans l’écroulement

des sables impassibles : les chevaux

de la mer, l’écheveau de l’amer ,

tout se mêle : on a la vie intransitive

des vaincus et des sages ; on regarde.

 

On fouille le bric-à-brac des ancêtres :

vieux clous, écrous, couteaux rouillés,

médailles, vieux journaux, vert-de-gris,

objets inanes, immémoriaux,

et poussière, poussière, poussière

 

et l’histoire

attend le prochain contingent.

 

12

BREVE BIOGRAPHIE DE R.

 

visage arraché à l’obscur

par le souffle même

de l’obscur qui est l’ange,

ni homme ni femme, ni forme

ni âme, dans l’extrême

sereine jouissance de tout son corps

absent, qui est pur désir et ne dit rien

que sa beauté d’outre horizon

 

et le vieil homme traversé

en laissera paraître à peine

le tremblement pour l’enfant si beau

qui le lisait, que la terre

insistante a spolié de toute voix,

de toute chair ; car notre est

la souffrance, la puissance et la rage

 

: la femme courbée porte les bûches

au feu jour après jour et dit

« c’est la vie même ».

 

13

il n’est pas impossible qu’un jour

ou plutôt l’autre tout bien pesé

ou bien plus tard le ciel par infinie

inadvertante bonté selon ses hiatus

et coutume nous jette au visage

un très peu d’imparfaite lumière

laiteuse oh pâle essence d’espoirs

démis de leurs fictions de dieux

variables et couronnés qui meurent

et prolifèrent diffus et l’on n’avance

à rien sauf à suivre le traquet

de motte en motte le lièvre inquiet

de son propre présage à s’inventer

un maléfique et magnifique exil

disant : qu’une beauté inouïe

se parle ! que ce soit mon pays !

 

et non l’enfer opaque – et même lui

n’est pas certain malgré qu’en ait

le maître ou ne s’avère

qu’au gris miroir biaisé à la vitre

sans trace d’aube ni d’oubli nid

d’oubli : ainsi est l’homme il est

légion il trotte à ses travaux il

dit bonjour il dit que ferons-nous

demain il chérit l’avenir

minuscule rebondit d’hémistiche

en césure enjambe comme il peut

et pour finir s’assied sur des bancs

de silence en plein milieu sous le regard

de l’univers béant frappé enfin

comme un cheval sanglant sorti

aveugle de la mine après des lustres

comme on dit et conduit à mourir

 

Les poissons univoques remontent

dans l’eau brune invisibles argentés

Et l’on se noie toujours dans le même fleuve.

 

14

or les jours sont heureux parce qu’ils sont les jours jusqu’au

dernier parmi les visages vivants et même devant la pâle

lumière sur le mur pâle de la chambre avec les voix qui

parlent de la neige dehors la jacinthe apportée quand déjà ?

le cliquetis des petits instruments précis qui tombent dans

le plat d’acier inoxydable l’infini impénétrable qui com-

mence où finit la main et se referme sur la main . de grâce

mon ami ayez le bon goût de mourir en prose.

 

Fondus au noir

Editions Folle Avoine, 35137 Bédée,1996

 

Du même auteur :

« Une fois, / Les écluses s’ouvrirent… » (16/03/2015)

Des fins premières (25/08/2016)

« rouillés sont les vaisseaux friables… » (25/08/2017)

Nord Nord-Ouest par Ouest (25/08/2018)

Pour tenir lieu (25/08/2019)

Fondus au noir (25/08/2021)

Divers exil (18/02/2022)

Combaneyre (25/08/2022)

La joie peut-être (18/02/2023)

Denis Rigal : Nord (18/02/2024)

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
107 abonnés