Pir Sultan Abdal (1480 – 1550) : « Ne te détourne point... »
Ne te détourne point en me voyant
je ne cesserai de t’aimer
ne fronce pas l’arc de tes sourcils
ce n’est pas ta faute mais la mienne
sur ta langue et tes lèvres il y a du miel
mon désir s’est posé sur ta rose en bourgeon
tu es une sultane tu dictes les arrêts
ce procès entre nous comment pouvais-je le gagner ?
je n’irai pas sur les plateaux sans toi
je ne dirai pas ton secret dans les barrières
j’ai beaucoup péché je ne le nie pas
mes deux mains sont tachées de sang rouge.
Je me suis promené avec maints seigneurs et m’en suis lassé
j’ai ruisselé le sang pollué et je suis redevenu limpide
j’ai étreint plus d’une belle comme toi
mais ton amour est resté dans mon cœur
Je suis Pir Sultan Abdal et je dis
il est coutume que les amants aiment les belles
deviendrait-on criminel pour avoir aimé ?
Alors ma tête tranchée est déjà sur ma selle.
Je suis venu en ce monde trompeur et je le quitte
mon âme je n’ai pu trouver d’amante plus pure que toi
je me suis blessé et j’ai baigné dans le sang rouge
je n’ai trouvé personne pour laver le sang de mes mains
Celui qui est beau n’a que faire de l’or
le sage saura se procurer le meilleur bagage
j’ai contemplé le jardin de mon corps
je n’ai pu trouver de grenades vierges pour l’Ami
Le destin m’a brisé les bras et les ailes
je me suis tenu comme le hibou dans les ruines
aujourd’hui j’ai pris le poignet de trois belles
aucune n’a voulu dire : je me sacrifierai pour toi
Je suis Pir Sultan Abdal, si je pouvais être les montagnes
si je pouvais être les vignes parsemées de jacinthes mauves
si je pouvais être abeille dans un monde de fleurs :
Je n’ai pu trouver miel plus doux que les mots de l’Ami.
Traduit du turc par Gérard Chaliand
in, « Poésie populaire des turcs et des kurdes »
François Maspero éditeur, 1961
Du même auteur :
« Ne chante plus rossignol ... » (26/08/2019)
« Cette année, la neige... » (26/08/2021)
« On me dit de rire... » (26/08/2022)