Yvon Le Men (1953 -) : Naître
Naître
Même le temps est accepté
Ce provisoire des merveilles
JEAN MALRIEU
Pour Jean
I
Par temps clair
Au bord d’une chanson
J’aperçois le fond de ta vie.
Et sur la plage
Une femme tord le vent
Etend les nuages pour faire sécher tes pleurs.
Peut-on être trop heureux ?
Ce moment là est fragile comme le cou d’une pervenche
Sa durée n’a pas de date
Même une photographie ne s’en souvient pas.
C’est un livre d’or.
Une anthologie des jours
Reliés par la main qui brise ton nom sur le sable.
Quelqu’un viendra une fois l’effacer.
Un gosse rattrapant la mer pour noyer la lune,
Des amants titubant de la fleur à l’épine,
Ou tout quotidiennement la marée.
Et les vagues emmèneront ton poème en exil,
Alors tu ne mourras pas seulement chez toi.
II
La tendresse se tarissait dans nos bras
Nos rêves coulaient à circuit fermé
Nos peaux s’écrivaient en rides.
Ce soir-là, la lumière s’est coupé les veines.
L’hémorragie gaspillait la chaleur
L’eau inondait le feu
Les braises attendaient les branches
Les arbres avaient déterré la hache de guerre.
Les couleurs des clochettes avaient passé
Au troisième arasement des talus,
Le dos courbé à la pluie,
Ces beaux vieillards usés jusqu’à leur libellule
Qui traçaient dans la glaise le chemin des jonquilles
Pour qu’elles prennent un bol d’air.
Les rivières laissaient sur le champ leur chambre vide.
Le lit était défait.
Les cailloux bleus n’offraient plus de cercles étoilés
La boue souriait à la pointe de mes pieds
Résurgence !
Et la terre s’allongeait les mains dans les flaques
Pour espérer lentement
L’eau et le feu.
Il manquait au cauchemar, l’espoir des hommes.
Ce matin-là j’ai pleuré de l’eau fraîche
Et j’ai su qu’on ne me suiciderait pas.
Les feuilles et les drapeaux costument le vent
Sang et sève s’encoulent dans nos gorges affamées
De partager le pain.
La nostalgie de tout donner.
Tout sentir.
Moissonner tes baisers
Pétrir ton corps
Faire lever l’amour
Amarrer les voiles sur les talus
Battre la campagne.
Auréoler les nuages de sourires d’hommes mûrs
Cueillis de l’horizon.
Naître de nous.
Le drapeau est dressé sur la table
La sève et le sang dessinent dans les verres
La limite de la soif.
Tout le reste déborde
Gonfle l’océan
Croustille les montagnes
La campagne se pointille de compagnons ;
Il suffit de faire la chaîne
Pour organiser l’incendie.
Il est temps de secouer l’atmosphère
Pour en faire tomber des pommes de pluie.
Les orages perlent des paupières dans la terre
Qui pleure de joie.
La terre tourne plus vite que nous
Qui faisons marche arrière.
Il est temps de reconnaître
Nos mains capables de tant de tendresse,
Nos yeux que nous avons bus à gorge déployée,
Déployer des bouquets de bras sur ton corps.
Nos rêves jusqu’à la folie.
Il faut nos sentiments pour irriguer la vie
Et le sang arrose la naissance chaque soir.
A quoi sert de vivre après les autres,
Isolés.
Le monde sera ce que nous en ferons.
Pas de gosses pour nous poursuivre,
Des enfants à naître
Des cris et des couleurs pour éclaircir l’avenir.
Nous sommes de l’aube jusqu’à la nuit
Locataire des plaisirs.
Chaque seconde compte.
Toi que j’ai mal regardée, pardonne-moi,
Je te donne
Des vignes qui enivrent le ciel
A cause d’un rendez-vous avec l’espoir
Sur les sentiers battus par la rage de vivre.
Il est temps d’embrasser
Deux fois plus qui nous aimons.
III
De l’écorce du cœur coulent
Les prénoms volés aux conversations des amis
Un soir de grande nostalgie,
Où les vents s’appuyaient sur le bord de la fenêtre
Sereins et inquiets.
Le bonheur n’entre jamais de face dans la maison.
Par le biais de tes larmes
J’ai vu passer le long projet des femmes.
La souffrance rappelle son exigence,
La solidarité des instants
Vécus aussi par les mauvais moments à passer
Mais qu’il faut vivre.
Ne t’en vas pas quand ton amie pleure
Et te dit qu’elle est seule.
C’est en étranger que le silence parle.
Il faut sortir de toi
Et plonger dans le courant d’air qui fait claquer les yeux.
Attends si tu ne comprends pas immédiatement,
Ecoute, souris sans voler la réponse
De l’autre.
Aimer c’est arriver à l’heure
Et ne jamais regarder la pendule.
IV
Ta peau nue
Que j’aime croquer à pleines dents blanches
Au bord de tes lèvres,
Eclusières laborieuses, quand ton âme murmure
Les mots que j’attendrai toujours.
Avec la patience de celui qui coud le monde
Au point de croix, chaque amitié
Plantée à la solidarité des sourires.
Par-delà la chronologie de nos évènements
Nous avions l’âge de nos désirs.
Il y a le port d’attache ;
Il y a ce soir.
Cette cheminée au bout de tes doigts
Dont j’effeuille les flammes.
Analphabète des moments.
Je ne sais pas ;
Nous savons.
Je ne te connaîtrai jamais ;
Nous nous aimons.
V
Barrages construits le long de tes bras
Electricité au carrefour des nerfs
Court-circuit sur le réseau de tes peaux
Panique quand la main se trompe de doigts.
Les erreurs d’aiguillage font sauter le coeur
Les lendemains retournent sur leurs pas
L’instant terrorise le temps
Les lignes de la main sont en réparation.
Et tout d’un coup les larmes éclatent de rire.
Notre histoire respire la lavande
Comme nos draps pliés au fond du secret.
La mer se trompe d’océan
Les mains et les yeux se tirent les cartes de voyage,
S’en vont refaire la géographie.
Les pas retrouvent leurs traces.
Nous avons découvert un jour et un pays.
VI
Ici quelqu’un cherche de l’or dans le silence.
La joie prépare des sourires
Brise la glace pour sept ans de bonheur.
Des enfants naissent de toi
Claquent le ventre à l’accouchement.
Comme nous après chaque baptême à l’eau de feu
Ils seront seuls à s’enflammer.
Les ciels et les chemins se croisent les routes
Attendent de nous l’harmonie.
Un air de chanson trotte dans ma tête
Accélère l’amour.
Demain j’irai te voir me regarder,
Je l’ai dit à mon hôte,
Nous sommes déjà trois musiciens pour ouvrir le bal.
VII
Ouvre cette lettre
Comme on s’étonne de découvrir un nid
Après la convalescence de la quatrième saison.
Je ne sais pas encore si je suis seul,
Ou avec toi.
Les primevères risquent leurs pétales
Quand la guerre des bouquets s’achève dans un vase.
J’ai appris à aimer les fleurs à visage humain,
A les laisser partir.
Que vais-je devenir après tous ces rendez-vous avec les goûts et les couleurs ?
VIII
Ton corps sort la ligne d’horizon de l’univers
Et s’apprête pour la nuit,
Tu deviens violette.
A la veille du lit je ne t’attends pas.
L’arc-en-ciel effleure toujours après la pluie
Le dos des nuages lavé comme des fontaines
Que tu creuses à l’intérieur de mon œil,
Vêtu de rouge.
Tes dessins déshabillent le mur.
Les couleurs s’arc-boutent
Tendent davantage le vert.
Le toit regarde tranquillement ses ardoises
Et s’allonge sur la maison
Pour fumer une cheminée
Le temps de nos tendresses.
La rose flèche ses tuiles
E tire une lucarne sur la peau du ciel.
Un cri trempé jusqu’à l’os
Secoue le mauve.
Le ciel roule dans les couleurs,
Les figures pleines de joie
On se lèche les plaies.
Le ciel se peigne les nuages avec l’arc-en-ciel
Les mains rebâtissent les corps effondrés
La lune s’en va dehors,
Nous dormons,
C’est l’aube.
IX
De la laine dans mes larmes
Tisse une maison de fous
Pour t’enfermer.
Arriveras-tu ce soir ?
Comme l’habitude que je perds
De t’attendre un piège,
Quand la brume casse les carreaux
Et demande le droit d’asile.
Le Pays derrière le chagrin
Les Presses d’Aujourd’hui, 1979
Du même auteur :
« Seule la mer éclaire ton visage… » (16/05/2014)
« Ma mère… » (16/05/2015)
Enez Aval (16/05/2016)
Saint-Michel de Brasparts (16/05/2017)
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Inconnus mais pas étrangers (07/05/2019)
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Le mal du pays (05/04/2023)
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