André Gide (1869 – 1951) : « Nathanaël, je te parlerai des attentes... »
Gisèle Freund : André Gide, vers 1938 - 1940
Nathanaël, je te parlerai des attentes. J’ai vu la plaine, pendant l’été,
attendre ; attendre un peu de pluie. La poussière des routes était devenue trop
légère et chaque souffle la soulevait. Ce n’était même plus un désir ; c’était une
appréhension. La terre se gerçait de sécheresse comme pour plus d’accueil de
l’eau. Les parfums des fleurs de la lande devenaient presque intolérables. Sous
le soleil tout se pâmait. Nous allions chaque après-midi nous reposer sur la
terrasse, abrités un peu de l’extraordinaire éclat du jour. Sous le soleil tout se
pâmait. Nous allions chaque après-midi nous reposer sous la terrasse, abrités
un peu de l’extraordinaire éclat du jour. C’était le temps où les arbres à cônes,
chargés de pollen, agitent aisément leurs branches pour répondre au loin leur
fécondation. Le ciel était chargé d’orage et toute la nature attendait. L’instant
était d’une solennité trop oppressante, car tous les oiseaux s’étaient tus. Il
monta de la terre un souffle si brûlant que l’on sentit tout défaillir ; le pollen
des conifères sortit comme une fumée d’or des branches. – Puis il plut.
J’ai vu le ciel frémir de l’attente de l’aube. Une à une les étoiles se fanaient.
Les prés étaient inondés de rosée ; l’air n’avait que des caresses glaciales. Il
sembla quelques temps que l’indistincte vie voulût s’attarder au sommeil, et
ma tête encore lassée s’emplissait de torpeur. Je montai jusqu’à la lisière du
bois ; je m’assis ; chaque bête reprit son travail et sa joie dans la certitude que
le jour va venir, et le mystère de la vie recommença de s’ébruiter par chaque
échancrure des feuilles. – Puis le jour vint.
J’au vu d’autres aurores encore. – J’ai vu l’attente de la nuit...
Les Nourritures terrestres,
Editions du Mercure de France, 1897
Du même auteur :
« Nathanaël, je t’enseignerai la ferveur… » (20/04/2015)
« Nathanaël, je te raconterai les sources … » (08/05/2018)
« Certes, délicieuse est la brume... » (08/05/2019)