Henri-Simon Faure (1923 – 2015) : un manoeuvre n’en fait qu’à sa forte tête ... (0 – 16)
un manœuvre n’en fait
qu’à sa forte tête
de par
le luberon
0
à
rien que plusieurs espèces passées de filles
dont je ne veux dresser la liste des prénoms
je dédie mon poème
ou le jeter au vent
luberon
ça risque de résulter kif-kif
pour toi peut-être encore sont-elles vivantes
je les imagine
carcasses affleurantes
saillies par le travers de tes sentiers perdus
où
terres brunes
rochers blancs
racines roses
la couleur monte leur souvenir en surface
et si je m’arrête en un coin de ma vadrouille
braguette ouverte
est-ce pour pleurer
luberon
pisser d’aise
ou
me branler sur mes amours mortes
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manœuvre
luberon
j’apporte mes mains
comme pour en doter ton infirme corps
elles savent taper à la machine à
écrire la formule administrative
ou l’inventaire tournant du matériel
elles savent conduire les grands engins
de levage
elles savent charger ou bien
décharger le matériel
n’importe quel
elles savent faucher l’herbe en plein soleil
entre les portées des pylônes qui grondent
les quatre opérations
elles savent faire
également tout ce que l’on peut penser
mais pas dire
non par le respect humain
à cause de tellement trop de détails
fourgués déjà dans pas mal de mes poèmes
la vie est carabine à répétition
sinon mannequin pour oiseaux
au cul sec
et
elles savent écrire des poèmes
mes mains
dès que je n’ai plus ma tête à moi
je serai ton mercenaire
luberon
2
à prime abord
difficulté
de ton accueil
me faudra-t-il
longtemps
taper
contre ta porte
avant que
tu
daignes répondre
qui
peut entrer
m’asseoir
devant
ta vaste table
où
l’eau offerte
geste du cœur
est refusée
sur un ton sec
aux alentours
elle
est pourtant
chose sacrée
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employer quel moyen subtil
pour devenir rien qu’un ami
je te parle des filles
mises
à bas
leur dos contre ton dos
ton pelage se fait lubrique
jeteur d’éclairs brefs dans mon ciel
il est trop tard pour le remords
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Je connais ton secret ancestral
il est à la mesure de l’homme
qui en vient à savoir trop de choses
négligeant ce qui fait l’essentiel
nous ne sommes qu’une émanation
après tout
de ta chair minérale
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je ne te crains point
sorcier aux aguets
tous les tours que tu peux imaginer
je les ai entrepris à ma façon
et réussis plus souvent que voulu
mais j’ai des mains
et dans ces mêmes mains
le souvenirs de certaines chaleurs
de corps
que tu n’as pu étreindre
toi
parce que tu es symbole de mort
et que
forcément la joie te déserte
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Il n’y a plus de commune mesure entre nous
et ma tête en ébullition ne saurait suffire
à se contenter de la chaîne des deux mains jointes
pour la prière sans point d’impact en la nature
si les dieux n’interdisent plus
l’entrée des cavernes
les hommes viennent
sous les arbres
casser la croûte
et l’arroser du vin d’anciennes choses et simples
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mais
le temps par ici
connaît un autre rythme
un jour
égale
un an
un an
pour la minute
secondes de semaine
le mois narcisse moi
plus commune mesure
siècle
signifie quoi
depuis combien d’années
je vis contre ton flanc
vibrant
dans mon rempart
tant de moments
poussant
chansons
de
corps de garde
c’est hier
c’était demain
que nous nous rencontrions
j’en ai tiré profit
de ton apport immense
ne serait-ce
maudire
sans cesse
répéter
tu dilues l’impression
d’
un temps
d’éternité
rien qu’à parler ton nom
grondement ancestral
qui ajoute au silence
ce silence violent
que mon oreille entend
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chèvres
dans
le luberon
aucun beau regard de
femme
ne pourrait rivaliser
avec celui certain d’elle
leur façon de me défier
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j’apporte ici le boisseau
où l’on sera comparé
à la juste dimension
dont on se sera servi
pour
une brebis tondue
en qui
dieu
mesure vent
afin que son ventre n’enfle
du malaise originel
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les villages ont peur de toi maintenant
ils demeurent à distance
je les aime
à cause de l’envie du surnaturel
qu’ils n’osent réfréner
quand bien même ils craignent
d’éveiller le mal courant des vieilles terres
qui
jadis
les élimina jusqu’à la corde
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les hommes ont abîmé
les gorges
de régalon
la fontaine
du boulon
mais
le cavalon
se meurt
d’une abjecte pourriture
pris par des mains à la gorge
qui tremblent de leur forfait
ponce pilate
est par là
les hommes ont asséché
la durance
virginale
en sa belle vallée proche
paysanne devenue
fille de joie sans scrupule
sinon
point d’eau
je me meurs
m’a gueulé
le luberon
ce jour d’été par trop sec
où il était bien levé
à m’accepter sans bavure
bête rodant parmi d’autres
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comme
un
mur
pour
les
eaux
dont
la
rage
met
un
frein
contre
le
ciel
sans
ombre
nuit
et
jour
seul
quelque
rire
peut
dire
oui
ou
non
qui
veille
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maisons aux envolées graciles
corps du délit
des jeunes filles
le vierge a son empreinte ici
depuis vingt ans
j’y loge à l’aise
débarrassé de l’embarras
de tant de souillures cueillies
par les lieux où je me propulse
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le poids de la pierre
en ce pays
la terre n’a plus son mot à dire
dessus
le plateau des claparèdes
saint paul
je fus d’un coup accosté
mais le temps avait défait son oeuvre
si sac identique
farine autre
et ceux-là qui liront mes angoisses
quelque jour où je serai défait
mon front ayant cogné dans ta chair
pourraient dire s’il y avait
foi
je suis passé pour
ne rien conclure
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des bories
plantées par là
boutons des premières chaleurs
au temps où
des hommes inventés se frottèrent à toi
lieu d’enfantement de ces bêtes
blaireaux
renards
sangliers
y piquent les scorpions
en preuve de leur antécédence
luberon
donneur de vertige
repaire de révolte
brigand des cœurs
mal
heureux
bien
d’un almanach familier
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parfois
dans le vallon de l’ayguebrun
allant ou revenant de
lourmarin
on m’a vu rouler rapide en voiture
tracassé de soucis sentimentaux
moi
natif
en exil dans une ville
sinistre
trente-quatre rue beaubrun
j’essaimais le chapelet des souillures
dont telle naissance fut entachée
dédit d’homme de bonne volonté
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trois paroles de vie (valent jeu) sept années d’écritures
Editions plein chant (cahiers hsf/6), 16120 Bassac, 1976
Du même auteur :
Par ces temps (28/07/2016)
un manoeuvre n’en fait qu’à sa forte tête ... (17 – 29) (21/01/2021)
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