Tristan Klingsor (1874 – 1966) : La taupe
La Taupe
Quand vous m’aurez, Seigneur, à mon tour englouti
Dans la rivière étincelante des ténèbres,
Quand vous m’aurez à mon tour culbuté
Dans ce gouffre peuplé de crabes étoilés,
Ne me demandez pas de venir devant vous,
Tremblant devant les yeux émeraudes de vos yeux,
Tremblant devant l’étain lustré de votre barbe,
Mais laissez-moi dernier dans la foule innombrable
Aux milieux des oiseaux bleus et verts
De votre paradis.
Laissez-moi dans un coin rêvasseur solitaire,
Laissez-moi d’un seul doigt doucement écarter
Le rideau sur la nuit magique du dehors,
Oubliez-moi pour que je puisse voir encore
Tournant dans la musique de l’immensité,
Sous son chapeau d’azur rayé d’un poignard d’or,
Ma folle et vieille mère la Terre
En sa robe de taupe argentée.
L’oiseau sur l’épaule
Editions L’Amitié par le livre, 1964