Adrien de Monluc, comte de Cramail (1588 – 1646) : Les fous
Les fous
(chanson)
De tous les fous qu’on voit en France,
Et de ceux qui font les prudents,
Il n’y a point de différence
Que de barbe et d’habillements :
Car tout le monde a sa folie
Qui le possède et le manie.
Les uns désirent la richesse,
D’autres désirent les hasards,
Tel fait le vain de sa maîtresse
Qui n’en a rien que des regards ;
Et cependant la jalousie
Trouble le plaisir de sa vie.
L’un aime les chants solitaires,
L’autre se plaît dessus la mer,
D’aucun dedans les monastères
Se font pour jamais enfermer,
Puis de leur âme repentie
Naît bien souvent quelque folie.
Tel se consume dans les flammes
D’un amour plein de vanité,
Et pour la cour et pour les dames
Vend son bien et sa liberté,
Et dans l’erreur et la folie
Passe le reste de sa vie.
Tel veut connaître la science,
Tel autre veut tout ignorer,
Tel autre par une inconstance
Est prêt à se désespérer,
Et tout enfin n’est que folie,
Qu’erreur, que mensonge, et manie.
Mais qui sont plus fous ou plus sages,
Dites, messieurs les entendus,
Ou tous ces fous vains et volages
Ou ceux qui les ont attendus :
Et qui pour voir une folie
Auront le rhume ou la chassie ?
Ces fous que l’on voit à la danse
Ne sont pas des fous tout à fait,
Ils sont plus sages qu’on ne pense
Puisqu’ils sont fous quand il leur plaît :
Et la sagesse et la folie
Leur tiennent bonne compagnie.
In, « Le cabinet satyrique »,
Chez Anthoine Estoc1618