Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le bar à poèmes
15 juillet 2019

Olivier Deschizeaux (1970 -) : Je me suis vu (II)

Olivier_Deschizeaux_1_

 

Je me suis vu

 

II

 

Je me suis vu

alourdissant l’ombre dans la nuit transfigurée jetant mon ancre à l’œil mort des

fougères homme de rien dans la disgrâce et le chemin des figures brisées

tournesols à l’orée des folies et traumas tournesols feignant la vie d’un geste

d’éventail

 

je me suis vu

fils des petites âmes sur la liste rouge ô le rythme des reines sur mes reins de

faïence et le temps qui s’efface comme le printemps de ma mémoire ronde

l’heure tourne autour des banquets je ne fus qu’un souffle sur ta nuque

 

je me suis vu

gemme au cou fendu des hymnes nègres puisant mon essence au plus loin des

ténèbres bateleurs et bateaux d’or glissent leurs poings dans la tenaille des nuits

je fais l’ogre des orges en nudité et au creux de mes cœurs se joue le poker

surréaliste avec papiers rougis et voix noircies

 

je me suis vu

dans l’ombre des olympes grimpant au sexe des mygales avec pour seule raison

le vivre du désespoir baignant dans l’encre de tes yeux crevés par les cieux

oublieux quelqu’un s’approche du cercueil vide d’épines éparses

 

je me suis vu

en compagnie de chiennes léchant la lune au détour d’une blessure assoupi

accroupi grisé de logomachie me délivrant du mal par l’écorce du christ mort

 

je me suis vu

minuit plus tard à ma table de solitude ouvrant le coffre à jouets mais de mes

sept lieues que reste-t-il une mer de folies sous les crânes veloutés de tes ongles

arrachés

 

je me suis vu

soie d’une solitude innocente me réfugiant dans l’antre de tes mortes nuits et

tes miroirs sont des huiles de foire je marche sale en ma chair pourrissante

quelqu’un se dresse dans l’ombre de mon ivresse

 

je me suis vu

tissant la hallebarde de honte à ta poitrine et dans la fournaise des enfers

j’entends battre le cœur des chérubins à ventre rouge rien n’existe tout n’est

que rêve d’une rue oubliée pantomime de nos rives en berne

 

je me suis vu

pénétrant la nuit comme une six-cordes ouvrière que de rythme en ta dépouille

de rire mais je ne demande pas la soumission des damnés mon être est un deuil

sans larme

 

je me suis vu

demandant si le verbe peut jaillir de la vulgate les catafalques habillent les

gisants et dans les limbes je pleure tes orages

 

je me suis vu

chant d’hiver tu m’es ivraie de raison tu découds l’ombre qui me couronne et

perdant haleine aux ambres des portes la louve dévore mes dents de dentelle

noire nous sommes libres de notre prison

 

je me suis vu

regardant le fleuve courir entre tes cuisses prends la rage en tes entrailles si

quelque sombre décorum te hante alors je serai le démiurge de tes songes la

pluie tombe sur le vent de décembre un homme meurt de ses yeux fous sur le

roc les mages proposent le purgatoire à l’ange brun

 

je me suis vu

lorsque nous étions tissés de rêves tout était horizon de satin la nuit était notre

cheval et nous chevauchions l’enfer par des nuits de tempête la joie était

habitude jamais la solitude ne frappait à nos draps

 

je me suis vu

toi cognant à mes tempes et moi mordant la queue du retable en mon temple

sommeille une bête je suis un poète égaré au neuvième cercle de son corps je

prie l’animal qui dort en toi

 

je me suis vu

un adieu aux paupières de sel avec ta misère portée en bure du soir adieu avec

tes enfants défunts aux confins de ton âme je suis le petit loup qui erre parmi

les décombres de tes mille ours d’encre jamais le moloch ne pardonne

 

je me suis vu

gros comme l’étoile d’orient ô femme d’encens royal tu es la mère observée

par les flots grossis de mon sang mon poitrail est ta charrue et quand tu revêts

la vieillesse je suis un amas de cendres je ne suis que vent face à ton ventre l’or

scintille au front du christ lui qui ignore tout de ma déraison la dérive de nos

âmes

 

je me suis vu

là-bas dans l’enfer quand bientôt viendra la princesse je serai loin et toi frère de

baptême je te couvrirai d’air bleu les étoiles boiront la flamme des lunes et le

ciel ce vieux centre bleu sera ton irrémédiable amour la fantaisie des nuits ne

sera plus qu’un pli sous le bitume de tes pleurs bientôt viendra la fleur à ton

cœur

 

je me suis vu

un jour de grande fugue et tu sauras la vérité sur mes fantômes rien n’est plus

lourd que les fougères à mon cou la surréalité court à mon secours sous l’enfer

saturnien la mélancolie est un gage de courage tu connais ce monde il te

souilleras

 

je me suis vu

écrivant la rage et son orage de glaise le désir est là enfoui dans la nuit de ma

chair cherchant en vain la vinasse de tes seins et quand tombe l’ombre sur les

décombres nous voilà vociférant

 

je me suis vu

un dieu à la main et l’âme sur l’ordre des aubes alors se dérobe à moi ton voile

de souvenirs hantise des prisons mentales j’avance meuglant dans les rues

insomniaques dans la fange et la transe

 

je me suis vu

quand tu n’étais je crois qu’une fille de la vie mutilée une mutante des cités

obscures je te revois nue sous le lit de mes paupières tu fus ma dernière pierre

mon alcôve de flammes sans âme ni repos mes mains se tordent à tes reins

 

je me suis vu

démiurge des enfers mais qui sait où dorment les licornes de mes dimanches

saturniens j’aimais le noir de tes futilités mon frère te regarde comme une mère

tu gis sur un tapis de sable quelque part en géhenne puisque là est ta place je

dévoile ta mort dernier envol des molochs en mal de cuivre

 

je me suis vu

piqûre sous des cris de paille mes pas me mènent loin hors de la vie tu es

comme le vent qui souffre de ne pouvoir être fou et dans l’abîme du ciel là où

s’échouent mes rêves le vieil enfant pleure et ses larmes sont d’un sang neige

 

je me suis vu

porte s’étiolant lorsque tu la caresses en geignant la mort est une maladie une

vieillesse de faïence les diables en guérissent en buvant le vin de tes hanches

mais mon front est un orifice où sont clouées tes gargouilles

 

je me suis vu

bavant sous la nuit ghettos en flammes les lames de lave dévalent mes bottes

d’enfance perdue tu es la louve sur mon œil clos comme l’antre du poète errant

sur les rails de l’éther

 

je me suis vu

clouant le rêve et le dévorant et jamais la nuit ne ferme le lourd chant de mes

peines mais derrière l’ombre les corbeaux portent cilice et silence

 

je me suis vu

voulant te lire dans le sang je te reconnais sous la nacre d’une peau vieille et

sombre

 

je me suis vu

spectre de ton amour le long des chambres à lanterne et des chapelles de feu

encore les ténèbres encore un diable sous l’échine du petit rameau oh mais le

fard s’envole loin des paupières en prière je te vois en sommeil nous sommes

des ersatz de poupées

 

je me suis vu

enfant des ruines ô christ qu’ai-je fait de tes édens tu es cristal dans les nues et

les astres voilés jappent à mon passage sous la lune de minuit tu es mon seul

meurtre

 

je me suis vu

empereur du monde soupirant soutirant les psaumes de l’éternité hélas j’ai mal

vécu j’ai voulu vivre survivre à la chair et dans le ciel je ne vois plus que

purgatoires famines et solitude

 

je me suis vu

n’attendant rien de la mort n’y croyant pas car toi tu es l’herbe qui ronge les

murs de la citadelle plongée en détresse par de douces lèvres les tarentules

creusent mes yeux

 

je me suis vu

ne sachant jamais pourquoi les usines à larmes tutoient le christ alors je me

range du côté de ceux qui vivent en peine en désespoir dans la chambre violée

par ombres et prières tu t’agenouilles au seuil d’un scintillement orphelin et ton

âme recueille les algues mortes qui flottent encore sur l’ondée brune de ton

rêve immonde science blonde des jusants

 

je me suis vu

oméga d’une vie nouvelle et le chien qui mord la cheville de la vielle louve

enfin engrossée je te suis dimanche de fortune dans ton atelier de runes je mens

et nous mourons

 

je me suis vu

démon ailé ô petit cadavre mes hymnes sont des guitares trisomiques dans la

sainteté du ventre les retables meuglent à ma gorge éventée par l’asphalte rare

de ton rire sans nom

 

je me suis vu

carbone quatorze sur mes plaies d’enfance un manoir vide au milieu des

raisons perdues un homme une âme cabossée et les nuits qui roulent sur ton

crâne l’heure noircit il est minuit et dans les limbes de ta pensée tu songes

encore à la rose qui jaillira de tes rives obscènes obèses de trop louer le diable

 

je me suis vu

te confiant entre deux rêves abscons que le terreau du meurtre bâtissait en tes

reins la nouvelle sphère des spectres, mon sceau n’est que d’argile vois-tu le

sang des vierges

 

je me suis vu

entre rose et muguet vieillis dans l’ondée brune ils passent leur vie dans l’herbe

noire de souffrance et de pleurs ne sont-ils pas l’armoire de joie qui se reflétait

dans l’eau rouge du vide bestial je demande au devin si quelque belle roche ne

pourrait me suffire hélas la mère est lasse de ses orphelins gourmands de

ténèbres

 

je me suis vu

rien ne terrassant mes nuits animales me maquillant pour la dernière ligne

d’asphalte système lunaire en pierrot de flamme ici ou ailleurs entre le roi et

judas pleurant ton sang mais voici que mille christs brisent la porte des saisons

mortes l’hiver se termines ti tousses en ton poitrail lames et larmes d’un enfant

mort-né

 

je me suis vu

mon ventre s’ouvrant en bavant comme une louve et les chiens de paille qui

saisissent le vil vol des enfers mes ailes ont du grain d’étoile sous leur menton

la folie m’enivre tel un viol de carnaval revues bannies par le fou mort en mon

âme

 

je me suis vu

crevant d’une sève trop lourde à mon cou d’homme en beauté vit un vent de

cent soufres mes prières sont des pierres de cendre

 

je me suis vu

une étincelle à caillou de chair ah la chair dieu me punira d’avoir avalé le

retable d’obscurité si le coeur de sept chanceliers vient à périr que dirait le

baptiste de mes nombres

 

je me suis vu

diable éhonté sous les ombres en un monde de semences inexactes mes ailes

sont des orfraies et le temps qui se travestit en un rouleau de torsions intimes

non vraiment rien ne peut soulager le plus vieux des poète

 

je me suis vu

les gens me disant revêts la chasuble des éthers et ferme la pomme des enfers

anciens je regarde en mes guerres les nuits de camphre inutile de chercher

querelle avec la misère le temple est jonc de papier sur mes blessures

 

je me suis vu

jésus venant à la lampe morte et tu renonces à me voir en peine sur les sourires

du souvenir jadis une femme portait le nom des lunes et faisais trembler les

draps des nymphes mais la terre est de fer gelé et le vent souffle en mes tripes

nul besoin de souffrir en vain

 

je me suis vu

sur les bords du fleuve dormant avec un être aux épaules d’apôtre sobre

baptême que le sien sa vie est canine son œuvre arabesque et sa face

rimbaldienne il se tient devant le miroir d’ébène et justifie ses empires

 

je me suis vu

au bord de mes songes ubuesques me couvrant des chants d’adonis larvés

d’huiles noires combien de vieux éphèbes ont connu le centaure en leur aine

 jamais la vie ne dérape perte des sens hurlements au creux des nuits je suis le

fils des limbes où je rêve à des chiens féroces à des soldats aveugles tes noces

sont de cendre et de sang ainsi la gêne est mon irascible vétusté d’âme

 

je me suis vu

dénombrant les rats qui lèchent ton visage antique une fenêtre décousue au

bord de la mémoire un suaire habillé de mélancolie un arbre sec au sein des

femelles défuntes mais sais-tu où s’en vont les soirs d’été nous qui fûmes une

bête honteuse dans le parfum de l’herbe fraîche

 

je me suis vu

étoiles dévoilant leurs croassements tu t’en remets à des thaumaturges qui ne

sont qu’astres déchus tu me demandes si l’eau du fleuve veuf est pareille à la

bible

 

je me suis vu

sous la paupière endeuillée du clochard et je contemple des monts couverts de

crânes tu m’es obèse en tes reins noyés  dans l’ombre je sens des myriades de

naïades et vipères cherchant un repère où perdre leur âme tapisserie d’un cœur

trop humble ma peau flambe en la tienne mais toi en ton manteau d’orage tu

ignores tout de ma rage en survivance

 

je me suis vu

menthe au sucre fin sur les selles des lézards je pense à mes vies passées celles

que saints gargouilles et archanges peignent sur mes valises pourpres

 

je me suis vu

tel le corbeau pleuvant sur tes yeux déchirure de tes lèvres qu’attends-tu en ces

mots de désolation je pleure la mort des rythmes mes hymnes yankee sont dus

à des soupapes de reproduction dont ma chair est le souffle

 

je me suis vu

buvant les flammes qui sont liqueurs tu ouvres ton algue de cuivre pour y jeter

le cuir des îles nomades sur les paumes du christ sommeille la fin de mes

heures nues

 

je me suis vu

les bottes de ton cimetière les aquarelles de ton lit nègre le vinaigre qui coule à

ma bouche et dans ma candeur je te surprends à la grandeur des faunes

mutiques mille minotaures s’attardent à mon chevet tous me voient blonde

moribonde

 

je me suis vu

comme une urne de saturne et je te coiffe d’un matelas de cirque rouge longs

crocs de poète mort saisissant l’instant fatal je me souviens d’un temps où nous

étions faits de rêves tissés d’une sève orpheline mais toujours joyeuse toujours

à l’angle sec des ors félins

 

je me suis vu

m’éloignant de tout et mes solitudes te ressemblent clouées à un divan elles ont

les doigts tordus du singe les yeux voûtés de l’acropole et le dos fendu des

olympes je m’égare en un monde qui n’est plus le mien je suis seul sans mère

ni frère sans sel ni lumière mon chemin est un crucifix d’artifice

 

je me suis vu

dans les ruelles hantées par thanatos moi papier surréaliste diable le sage

j’aperçois en mon tombeau des docteurs de folie des loups alors je me terre

dans la grande fugue de la bête croyant y trouver le repos des mages

 

je me suis vu

sage s’abreuvant de mélancolie de catafalques schizoïdes assignés à résidence

sur terre comme en enfer ligne noire des éthers je vogue seul sur les flots sales

de mes pensées

 

je me suis vu

au puits de la nuit trouvant les accolades de la misère trop lourdes pour le sexe

fleuri de ses filles les quatre vestales de l’apocalypse et dans l’ombre naît la

mort tu vis en mon crépuscule un arrière-monde désuet les trains fuient notre

âme déflorée.

 

Je me suis vu

Editions MLD, 22000 Saint-Brieuc, 2010

Du même auteur : Je me suis vu (I) (15/07/2018)

Commentaires
Le bar à poèmes
Archives
Newsletter
108 abonnés