Olivier Deschizeaux (1970 -) : Je me suis vu (II)
Je me suis vu
II
Je me suis vu
alourdissant l’ombre dans la nuit transfigurée jetant mon ancre à l’œil mort des
fougères homme de rien dans la disgrâce et le chemin des figures brisées
tournesols à l’orée des folies et traumas tournesols feignant la vie d’un geste
d’éventail
je me suis vu
fils des petites âmes sur la liste rouge ô le rythme des reines sur mes reins de
faïence et le temps qui s’efface comme le printemps de ma mémoire ronde
l’heure tourne autour des banquets je ne fus qu’un souffle sur ta nuque
je me suis vu
gemme au cou fendu des hymnes nègres puisant mon essence au plus loin des
ténèbres bateleurs et bateaux d’or glissent leurs poings dans la tenaille des nuits
je fais l’ogre des orges en nudité et au creux de mes cœurs se joue le poker
surréaliste avec papiers rougis et voix noircies
je me suis vu
dans l’ombre des olympes grimpant au sexe des mygales avec pour seule raison
le vivre du désespoir baignant dans l’encre de tes yeux crevés par les cieux
oublieux quelqu’un s’approche du cercueil vide d’épines éparses
je me suis vu
en compagnie de chiennes léchant la lune au détour d’une blessure assoupi
accroupi grisé de logomachie me délivrant du mal par l’écorce du christ mort
je me suis vu
minuit plus tard à ma table de solitude ouvrant le coffre à jouets mais de mes
sept lieues que reste-t-il une mer de folies sous les crânes veloutés de tes ongles
arrachés
je me suis vu
soie d’une solitude innocente me réfugiant dans l’antre de tes mortes nuits et
tes miroirs sont des huiles de foire je marche sale en ma chair pourrissante
quelqu’un se dresse dans l’ombre de mon ivresse
je me suis vu
tissant la hallebarde de honte à ta poitrine et dans la fournaise des enfers
j’entends battre le cœur des chérubins à ventre rouge rien n’existe tout n’est
que rêve d’une rue oubliée pantomime de nos rives en berne
je me suis vu
pénétrant la nuit comme une six-cordes ouvrière que de rythme en ta dépouille
de rire mais je ne demande pas la soumission des damnés mon être est un deuil
sans larme
je me suis vu
demandant si le verbe peut jaillir de la vulgate les catafalques habillent les
gisants et dans les limbes je pleure tes orages
je me suis vu
chant d’hiver tu m’es ivraie de raison tu découds l’ombre qui me couronne et
perdant haleine aux ambres des portes la louve dévore mes dents de dentelle
noire nous sommes libres de notre prison
je me suis vu
regardant le fleuve courir entre tes cuisses prends la rage en tes entrailles si
quelque sombre décorum te hante alors je serai le démiurge de tes songes la
pluie tombe sur le vent de décembre un homme meurt de ses yeux fous sur le
roc les mages proposent le purgatoire à l’ange brun
je me suis vu
lorsque nous étions tissés de rêves tout était horizon de satin la nuit était notre
cheval et nous chevauchions l’enfer par des nuits de tempête la joie était
habitude jamais la solitude ne frappait à nos draps
je me suis vu
toi cognant à mes tempes et moi mordant la queue du retable en mon temple
sommeille une bête je suis un poète égaré au neuvième cercle de son corps je
prie l’animal qui dort en toi
je me suis vu
un adieu aux paupières de sel avec ta misère portée en bure du soir adieu avec
tes enfants défunts aux confins de ton âme je suis le petit loup qui erre parmi
les décombres de tes mille ours d’encre jamais le moloch ne pardonne
je me suis vu
gros comme l’étoile d’orient ô femme d’encens royal tu es la mère observée
par les flots grossis de mon sang mon poitrail est ta charrue et quand tu revêts
la vieillesse je suis un amas de cendres je ne suis que vent face à ton ventre l’or
scintille au front du christ lui qui ignore tout de ma déraison la dérive de nos
âmes
je me suis vu
là-bas dans l’enfer quand bientôt viendra la princesse je serai loin et toi frère de
baptême je te couvrirai d’air bleu les étoiles boiront la flamme des lunes et le
ciel ce vieux centre bleu sera ton irrémédiable amour la fantaisie des nuits ne
sera plus qu’un pli sous le bitume de tes pleurs bientôt viendra la fleur à ton
cœur
je me suis vu
un jour de grande fugue et tu sauras la vérité sur mes fantômes rien n’est plus
lourd que les fougères à mon cou la surréalité court à mon secours sous l’enfer
saturnien la mélancolie est un gage de courage tu connais ce monde il te
souilleras
je me suis vu
écrivant la rage et son orage de glaise le désir est là enfoui dans la nuit de ma
chair cherchant en vain la vinasse de tes seins et quand tombe l’ombre sur les
décombres nous voilà vociférant
je me suis vu
un dieu à la main et l’âme sur l’ordre des aubes alors se dérobe à moi ton voile
de souvenirs hantise des prisons mentales j’avance meuglant dans les rues
insomniaques dans la fange et la transe
je me suis vu
quand tu n’étais je crois qu’une fille de la vie mutilée une mutante des cités
obscures je te revois nue sous le lit de mes paupières tu fus ma dernière pierre
mon alcôve de flammes sans âme ni repos mes mains se tordent à tes reins
je me suis vu
démiurge des enfers mais qui sait où dorment les licornes de mes dimanches
saturniens j’aimais le noir de tes futilités mon frère te regarde comme une mère
tu gis sur un tapis de sable quelque part en géhenne puisque là est ta place je
dévoile ta mort dernier envol des molochs en mal de cuivre
je me suis vu
piqûre sous des cris de paille mes pas me mènent loin hors de la vie tu es
comme le vent qui souffre de ne pouvoir être fou et dans l’abîme du ciel là où
s’échouent mes rêves le vieil enfant pleure et ses larmes sont d’un sang neige
je me suis vu
porte s’étiolant lorsque tu la caresses en geignant la mort est une maladie une
vieillesse de faïence les diables en guérissent en buvant le vin de tes hanches
mais mon front est un orifice où sont clouées tes gargouilles
je me suis vu
bavant sous la nuit ghettos en flammes les lames de lave dévalent mes bottes
d’enfance perdue tu es la louve sur mon œil clos comme l’antre du poète errant
sur les rails de l’éther
je me suis vu
clouant le rêve et le dévorant et jamais la nuit ne ferme le lourd chant de mes
peines mais derrière l’ombre les corbeaux portent cilice et silence
je me suis vu
voulant te lire dans le sang je te reconnais sous la nacre d’une peau vieille et
sombre
je me suis vu
spectre de ton amour le long des chambres à lanterne et des chapelles de feu
encore les ténèbres encore un diable sous l’échine du petit rameau oh mais le
fard s’envole loin des paupières en prière je te vois en sommeil nous sommes
des ersatz de poupées
je me suis vu
enfant des ruines ô christ qu’ai-je fait de tes édens tu es cristal dans les nues et
les astres voilés jappent à mon passage sous la lune de minuit tu es mon seul
meurtre
je me suis vu
empereur du monde soupirant soutirant les psaumes de l’éternité hélas j’ai mal
vécu j’ai voulu vivre survivre à la chair et dans le ciel je ne vois plus que
purgatoires famines et solitude
je me suis vu
n’attendant rien de la mort n’y croyant pas car toi tu es l’herbe qui ronge les
murs de la citadelle plongée en détresse par de douces lèvres les tarentules
creusent mes yeux
je me suis vu
ne sachant jamais pourquoi les usines à larmes tutoient le christ alors je me
range du côté de ceux qui vivent en peine en désespoir dans la chambre violée
par ombres et prières tu t’agenouilles au seuil d’un scintillement orphelin et ton
âme recueille les algues mortes qui flottent encore sur l’ondée brune de ton
rêve immonde science blonde des jusants
je me suis vu
oméga d’une vie nouvelle et le chien qui mord la cheville de la vielle louve
enfin engrossée je te suis dimanche de fortune dans ton atelier de runes je mens
et nous mourons
je me suis vu
démon ailé ô petit cadavre mes hymnes sont des guitares trisomiques dans la
sainteté du ventre les retables meuglent à ma gorge éventée par l’asphalte rare
de ton rire sans nom
je me suis vu
carbone quatorze sur mes plaies d’enfance un manoir vide au milieu des
raisons perdues un homme une âme cabossée et les nuits qui roulent sur ton
crâne l’heure noircit il est minuit et dans les limbes de ta pensée tu songes
encore à la rose qui jaillira de tes rives obscènes obèses de trop louer le diable
je me suis vu
te confiant entre deux rêves abscons que le terreau du meurtre bâtissait en tes
reins la nouvelle sphère des spectres, mon sceau n’est que d’argile vois-tu le
sang des vierges
je me suis vu
entre rose et muguet vieillis dans l’ondée brune ils passent leur vie dans l’herbe
noire de souffrance et de pleurs ne sont-ils pas l’armoire de joie qui se reflétait
dans l’eau rouge du vide bestial je demande au devin si quelque belle roche ne
pourrait me suffire hélas la mère est lasse de ses orphelins gourmands de
ténèbres
je me suis vu
rien ne terrassant mes nuits animales me maquillant pour la dernière ligne
d’asphalte système lunaire en pierrot de flamme ici ou ailleurs entre le roi et
judas pleurant ton sang mais voici que mille christs brisent la porte des saisons
mortes l’hiver se termines ti tousses en ton poitrail lames et larmes d’un enfant
mort-né
je me suis vu
mon ventre s’ouvrant en bavant comme une louve et les chiens de paille qui
saisissent le vil vol des enfers mes ailes ont du grain d’étoile sous leur menton
la folie m’enivre tel un viol de carnaval revues bannies par le fou mort en mon
âme
je me suis vu
crevant d’une sève trop lourde à mon cou d’homme en beauté vit un vent de
cent soufres mes prières sont des pierres de cendre
je me suis vu
une étincelle à caillou de chair ah la chair dieu me punira d’avoir avalé le
retable d’obscurité si le coeur de sept chanceliers vient à périr que dirait le
baptiste de mes nombres
je me suis vu
diable éhonté sous les ombres en un monde de semences inexactes mes ailes
sont des orfraies et le temps qui se travestit en un rouleau de torsions intimes
non vraiment rien ne peut soulager le plus vieux des poète
je me suis vu
les gens me disant revêts la chasuble des éthers et ferme la pomme des enfers
anciens je regarde en mes guerres les nuits de camphre inutile de chercher
querelle avec la misère le temple est jonc de papier sur mes blessures
je me suis vu
jésus venant à la lampe morte et tu renonces à me voir en peine sur les sourires
du souvenir jadis une femme portait le nom des lunes et faisais trembler les
draps des nymphes mais la terre est de fer gelé et le vent souffle en mes tripes
nul besoin de souffrir en vain
je me suis vu
sur les bords du fleuve dormant avec un être aux épaules d’apôtre sobre
baptême que le sien sa vie est canine son œuvre arabesque et sa face
rimbaldienne il se tient devant le miroir d’ébène et justifie ses empires
je me suis vu
au bord de mes songes ubuesques me couvrant des chants d’adonis larvés
d’huiles noires combien de vieux éphèbes ont connu le centaure en leur aine
jamais la vie ne dérape perte des sens hurlements au creux des nuits je suis le
fils des limbes où je rêve à des chiens féroces à des soldats aveugles tes noces
sont de cendre et de sang ainsi la gêne est mon irascible vétusté d’âme
je me suis vu
dénombrant les rats qui lèchent ton visage antique une fenêtre décousue au
bord de la mémoire un suaire habillé de mélancolie un arbre sec au sein des
femelles défuntes mais sais-tu où s’en vont les soirs d’été nous qui fûmes une
bête honteuse dans le parfum de l’herbe fraîche
je me suis vu
étoiles dévoilant leurs croassements tu t’en remets à des thaumaturges qui ne
sont qu’astres déchus tu me demandes si l’eau du fleuve veuf est pareille à la
bible
je me suis vu
sous la paupière endeuillée du clochard et je contemple des monts couverts de
crânes tu m’es obèse en tes reins noyés dans l’ombre je sens des myriades de
naïades et vipères cherchant un repère où perdre leur âme tapisserie d’un cœur
trop humble ma peau flambe en la tienne mais toi en ton manteau d’orage tu
ignores tout de ma rage en survivance
je me suis vu
menthe au sucre fin sur les selles des lézards je pense à mes vies passées celles
que saints gargouilles et archanges peignent sur mes valises pourpres
je me suis vu
tel le corbeau pleuvant sur tes yeux déchirure de tes lèvres qu’attends-tu en ces
mots de désolation je pleure la mort des rythmes mes hymnes yankee sont dus
à des soupapes de reproduction dont ma chair est le souffle
je me suis vu
buvant les flammes qui sont liqueurs tu ouvres ton algue de cuivre pour y jeter
le cuir des îles nomades sur les paumes du christ sommeille la fin de mes
heures nues
je me suis vu
les bottes de ton cimetière les aquarelles de ton lit nègre le vinaigre qui coule à
ma bouche et dans ma candeur je te surprends à la grandeur des faunes
mutiques mille minotaures s’attardent à mon chevet tous me voient blonde
moribonde
je me suis vu
comme une urne de saturne et je te coiffe d’un matelas de cirque rouge longs
crocs de poète mort saisissant l’instant fatal je me souviens d’un temps où nous
étions faits de rêves tissés d’une sève orpheline mais toujours joyeuse toujours
à l’angle sec des ors félins
je me suis vu
m’éloignant de tout et mes solitudes te ressemblent clouées à un divan elles ont
les doigts tordus du singe les yeux voûtés de l’acropole et le dos fendu des
olympes je m’égare en un monde qui n’est plus le mien je suis seul sans mère
ni frère sans sel ni lumière mon chemin est un crucifix d’artifice
je me suis vu
dans les ruelles hantées par thanatos moi papier surréaliste diable le sage
j’aperçois en mon tombeau des docteurs de folie des loups alors je me terre
dans la grande fugue de la bête croyant y trouver le repos des mages
je me suis vu
sage s’abreuvant de mélancolie de catafalques schizoïdes assignés à résidence
sur terre comme en enfer ligne noire des éthers je vogue seul sur les flots sales
de mes pensées
je me suis vu
au puits de la nuit trouvant les accolades de la misère trop lourdes pour le sexe
fleuri de ses filles les quatre vestales de l’apocalypse et dans l’ombre naît la
mort tu vis en mon crépuscule un arrière-monde désuet les trains fuient notre
âme déflorée.
Je me suis vu
Editions MLD, 22000 Saint-Brieuc, 2010
Du même auteur : Je me suis vu (I) (15/07/2018)