James Sacré (1939 -) : Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (I)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine)
Cherchant quoi traverse et rien n’y paraît je le redis poème et quel bonheur
un dôme de plaisir le bleu dans les mots paysage idéal dévasté mais où les
ronces le soleil souvenir dans le désordre et pourtant lumière contrée de chasse
serrée du poème de temps en temps.
J’ai souvent pensé comme ce serait facile un visage que j’aime au bout du
fusil je le vois il éclate c’est comme une pomme rouge dans la lumière de
l’automne. Je ne suis plus rien. J’ai peur des fusils.
Sur trois chiffres que dit le récit c’est dans la neige un pré qu’elle cajole
gouttes de sang j’imagine pour saurait-on plaisir œil ouvert la lisière des bois
ramasse et les oiseaux sont loin des points noirs son désordre et la lumière
quelle aventure bonheur poursuivi que cet homme agenouillé lit des signes
d’encre au moins ce que mais gibier disparu chasseur il a écrit.
OISEAUX QUI SONT DANS L'HERBE EN AUTOMNE
Une caille est un geste
lancé dans le bleu un carré
de petit lotier (dessin
d’un village hangar et des tuiles
entre deux branches) geste lancé
par-dessus le buisson derrière
caillou tombé de la grande herbe
une ombre où dans le silence
bat son cœur d’ombre où ?
La perdrix elle pourrait être un bruit
dans ce poème (silence un automne et la
couleur des regains) si les mots...
rien qu’un motif
au bord de l’imagination : tache automne
orangé cri (silence) d’un coq de roche – Brésil
ou braise en mon trou natal ; perdrix
rouge dans un regain (pas d’Amazonie) parlé
de plus en plus gris .
Une caille est tellement loin mais
presque sous mon pied (luzerne
en septembre le temps doré des
petits cailloux blancs) autrefois aujourd’hui
quelle trace : un poème aussi soudain (blanc
de la page rempli derrière la vitre un autre
espace en automne un arbre et des
petits mots noirs) aujourd’hui demain
quelle trace. Le mot caille est tellement
loin. Poème comme un fusil.
Gelinotte au bois dans
la Nouvelle-Angleterre un érable un
autre et des herbes mal connues (dé
chirure charpie des graines dans
mes souliers) passage un jour de chasse
à travers des pommes (picotées) le rouge et
pas d’oiseaux sauf un bruit soudain
(branches et bleu remués) puis silence et le fusil
un peu niais déçu – mais plaisir.
UNE FONTAINE AU BAS-POITOU
Fontaine où l’amour (quel amour) prend naissance et lumière
Elle est dans un lieu-dit avec des arbres des buissons
A l’écart dans les bas avec des prés les peupliers
Le soleil et l’ombre y jouent au silence à la solitude et font croire
Qu’elle est un lieu central et la naissance du monde où
Désormais je suis perdu n’ayant jamais perdu
Le souvenir d’un point clair en la fontaine un regard d’enfant
Que la mémoire comble à jamais depuis de mémoire
L’amour n’ayant plus de limites quel amour est la désespérance
Et pourtant la lumière et je le porte et j’avance
Avec un poème encore et des visages (solitude silence) je les vois.
Elle est un lieu de pierre et d’eau avec à côté un jardin
Soudain là pourquoi parmi les prés clos les buissons
Sinon pour qu’il y ait des fruits (figuiers rêches, pavies) auprès
De la fontaine sinon pour mon plaisir (solitude silence)
C’est dans les bas comme un livre et le bleu ouverts
Je n’y lisais pas de littérature mais plus tard
Maintenant Cavalcanti paraît dans les jeunes ronces
Et l’amour il brille et se déprend de la mémoire et dans la lumière.
Maintenant la lumière est contenue presque dans le vert
Parmi des maisons des couleurs tendres
Les arbres gris ou juste un peu rouges printemps dans la Nouvelle-Angleterre
Lèvent et joignent l’air et le ciel vif au terreau des pelouses
Cela que j’ai regardé dans la transparence aujourd’hui
Des vitres lavées et de l’après-midi fait un paysage où
Je prends l’origine de ce poème et l’origine d’un plaisir car
Depuis le premier vers c’est la même fontaine dont je veux parler
Qui est un centre de ce livre et de ma vie elle était ce soir
Une qualité de lumière et de vert contenue presque parmi
Des maisons des arbres gris maintenant dans ces mots qui paraissent.
Foutre c’est comme un cœur qui bat fontaine
Je me souviens du sang il est dans l’épaisseur
Du corps obscur canaux veines jardins souterrains
Foutre c’est comme un cœur perdu dans les labours
Un printemps qui dieu palpitant rien
Mais fontaine enfouie qui se défait puis
Comme encore un cœur il bat dans la mémoire.
De cette fontaine j’en veux parler je la vois c’est vrai
Dans le bleu du ciel un rond d’arbres des buissons
Je ne ferai nulle description mais contre son existence
Autrefois dans mon enfance au loin maintenant
Je peux mettre un poème et des mots qui semblent
Etre de la couleur et ce n’est que du silence
Dans l’écriture qui les permet pourtant
Cette fontaine dont je parle sise est vivante dans la pierre
Au bout d’un grand chemin d’arbres au bord loin
D’une existence et peut-être auprès de ce poème pourtant
Cette fontaine aussi permet la venue des mots les voilà.
Poème où ce serait lui poète et parleur dans
La transparence qu’il croit de lui-même et des mots
Parole comme un poème et dès lors
Ce serait la fontaine aujourd’hui parmi
Ce poème parmi les mots la présence en fait
Le même leurre un lieu d’arbre et de pierre
Mais pas transparent seulement pierre
Où c’est lui trace peut-être poète et silence
Fontaine où ce serait lui poète et parleur dans
La transparence qu’il croît de lui-même et de l’eau
Parole comme une fontaine mais dès lors
Que serait ce poème aujourd’hui sinon
La même fontaine ? or ni lui ni l’eau nulle présence mais
Le même leurre affublé du mot rouge
Mais pas transparent seulement rien parole
Où c’est lui poète et trace peut-être et silence.
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Paysage au fusil (coeur) une fontaine
In, « Cahiers de poésie, 2 »
Editions Gallimard, 1976
Du même auteur :
Trois figures qui bougent un peu (19/03/2015)
Presque rien à Sidi Slimane, le temps qui vient (07/06/2018)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (II) (02/12/2019)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (III) (07/06/2020)
Paysage au fusil (coeur) une fontaine) (IV) (07/06/2021)
« Parfois l’âne arrive... » (07/06/2022)
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