Jacques Réda (1929 - 2024) : Oraison du matin
Oraison du matin
(Oh manque initial, et retrait dans l'élan comme d'une pelletée de cendres. Mais
il y a lieu de se brosser les dents en fredonnant un air, et de nouer adroitement
la cravate qui préserve de la solitude et de la mort.)
Jour, me voici comme un jardin ratissé qui s'élève
Tiré par les oiseaux. Fais que je prenne l'autobus
Avec calme ; que j'allonge un pas sobre sur les trottoirs ;
Que j'ourle dans mon coin ma juste part de couverture
Et réponde modestement aux questions qu'on me pose, afin
De n'effrayer personne. (Et cet accent de la province
Extérieure, on peut en rire aussi, comme du paysan
Qui rôde à l'écart des maisons sous sa grosse casquette.
Berger du pâturage sombre : agneaux ni brebis
Ne viennent boire à la fontaine expectative ; il paît
La bête invisible du bois et le soleil lui-même
Au front bas dans sa cage de coudriers.)
Mais jour
D'ici tonnant comme un boulevard circulaire
Contre les volets aveuglés qui tremblent, permets-moi
De suivre en paix ta courbe jusqu'au soir, quand s'ouvre l'embrasure
Et qu'à travers le ciel fendu selon la mince oblique de son ombre
Le passant anonyme et qui donne l'échelle voit
Paraître l'autre ciel, chanter les colosses de roses
Et le chœur de la profondeur horizontale qui s'accroît
Devant les palais émergés, sous les ruisselants arbres.
Récitatif
Editions Gallimard, 1970
Du même auteur :
Elégie de la petite gare (10/04/2015)
Aux environs (10/04/2016)
Pluie du matin (10/04/2017)
« Quand montant de la porte d’Orléans… » (10/04/2018)
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L’aurore hésite (10/04/2021)
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