Yaïr Hurwitz (1941 – 1988) / יאיר הורביץ : « L’image du malheur à ma fenêtre... »
L’image du malheur à ma fenêtre. Aussi
quand je sors, l’image
m’accompagne.
Je m’imagine
en arbre. Il me plaît de ressembler
à un arbre grandissant
qui fait pousser des feuilles, donne
des fruits qui accomplissent
la promesse
de la terre.
Mais à vrai dire je
ressemble plutôt
à un champ qui, à l’heure
du désir
se remplit de fleurs,
et quand une pensée le croise
comme un vent passager, les arbres
approfondissent les racines
jusqu’aux bas-fonds .Et entre nous
soit dit, quand
l’image du malheur est à ma fenêtre,
je ressemble plutôt
aux fosses intérieures
qui se fraient leur chemin par la force des racines
profondes, et ressemble
moins aux racines. Je prends
davantage la forme
du trou, où
laborieusement
ils s’avancent, pour réchauffer
et élever leur cime.
L’image du malheur suspendue,
m’accompagne, aussi
quand je sors, comme ma fenêtre.
Et pourtant je
m’imagine
en arbre, qui hait
le gris
d’automne, qui se ramasse, tel un paquet,
et soudain
s’arrache et s’envole
tel un oiseau,
emportant le poids du mal
et un souvenir caché
aux fenêtres d’eau
en pleine mer.
L’image du malheur est suspendue
et moi, en pleine mer,
un homme poussière.
Soudain, je m’imagine
en arbre qui engendre, comme
une gloire dépassée,
les fruits
du mal, dont je ne sais
si les générations à venir
se souviendront,
sinon des débris, souvenirs
d’autrefois.
L’image du malheur à ma fenêtre
l’image s’efface ; non,
ne passe pas le mal.
Le cœur emporté de désir
se remplit d’espoir quand il transmet
quelque chose d’ici-bas
par l’aile du mot.
Traduit de l’hébreu par Michel Eckhard et Benjamin Ziffer
in, Revue « Poésie 1, N° 116, Mars-Avril 1984 »
Le Cherche-Midi éditeur, 1984
Du même auteur : Unité du gris (14/03/2020)