Gaston Chaissac (1910 – 1964) : Au pays de la calotte vinassouse
Au pays de la calotte vinassouse
« La bombe atomique est une appellation assez contrôlée mais Religion est un bien
grand mot pour désigner la calotte vinassouse. »
Gaston CHAISSAC
Avez- vous vu danser la calotte vinassouse
Les bras nus et les pieds sur la pelouse
Tandis que les aéroplanes
Zigzaguent au-dessus des platanes et que les ramasseuses de bois mort
la sautaient en pleurant comme une madeleine et en mettant la voile en
direction de la fontaine avec leur seau percé qu’on suit à la trace en vue
de la fermière qui brasse la crème pour le beurre à graisser la charlotte.
Des histoires grivoises restées dans l’armoire à la lumière de l’alcôve
se briseront les ailes.
J’ai aperçu les maillots
De la calotte footballouse
A travers mille ballots
Massés sur la pelouse
Tandis que la calotte picolouse
Etait au cabaret
Dont une beauté andalouse
Venait de se barrer.
J’avoue préférer la footballouse
A la vinassouse
Et je la salue du haut du clocher
Où j’ai grimpé pour voir d’un peu loin
Mais pas sans m’essoufler.
C’est un roumi de la calotte vinassouse
Qui vous l’a dit un soir sur la pelouse
Que j’étais un homme drôle qu’il fallait se méfier
De ma pomme dont on ignore le rôle et de ne pas m’approcher
Mais au bal comment s’y prendre pour danser
Sans faire plus de mal que s’en aller pisser
Contre les murs du jardin à Sylvestre
Qui peut être sûr d’avoir une belle veste
S’il se présente aux prochaines élections
Malgré ses rentes et puissantes protections
Eugénie n’écrit donc plus
Dans le bulletin de la calotte vinassouse
Depuis qu’il a tant plu
Sur le cœur de la pelouse
Au grand malheur des petits oiseaux
Qui si gentiment
Picoraient près des roseaux
Sans grands tourments.
Mais le temps se rétablit
Et tout ira mieux
Si Nini reprend sur l’établi
Sa plume pour tenir des propos pieux
Et si les noisetiers promettent
Une bonne récolte
Comme le prévoit Colette
Qui a de la jugeotte.
Nous ne sommes pas des roumis
De la calotte vinassouse
Mais d’humbles fourmis
Terrées sous la pelouse
Et nous avons rencontré
A l’heure du crépuscule
Des gens de la contrée
Lisant des opuscules
Pour leur monter la tête
Leur pauvre caboche
Les lendemains de fête
Au beau milieu des loches.
Ce n’est pas l’école laïque
qui l’aurait empêché d’aller grossir
la calotte vinassouse et les briques
restées à moisir sur la pelouse
restent entassées à la diable
depuis bien des lunes
qui ne virent le sable
s’envoler de la dune.
L’empereur du mal
disait fort grand bien
de la salade
frisée d’Amiens
et le grand eunuque
dans le beau sérail
souffrait de la nuque
comme train qui déraille.
Par devant la calotte vinassouse
Et par derrière Clochemerle
Qu’on finit bien par lire un jour
J’atteste que les marrons d’inde du presbytère
En pleine jeunesse
Tombent par terre
Ah ! quelle finesse.
Fils et chapelain de la calotte vinassouse
Regarde les poulains échappés sur la pelouse
Comme ils gambadent bien sous le soleil de plomb
Sans rien du vaurien ni perdre leur aplomb
Dans le décor paisible veuf de satanique
De fragment de bible sur papier hygiénique
Et le très impossible pour une bourrique
C’est d’atteindre la cible avec une arme atomique
Ou le jardin d’un sous-préfet qu’ombrage tout simplement
Un tout petit sifflet sentant le liniment.
Le roi de la calotte vinassouse
forgeait un soc de charrue
pour défoncer la pelouse
voisine de la grande rue
où la place du village tiendrait à l’aise
avec une piscine pour la nage
et un couvent pour Pascal Blaise.
Mais son feu semblait s’éteindre
et il dut souffler dessus
au lieu de se mettre à geindre
ou de rire comme un bossu
puis il se remit à l’enclume
comme le dieu Vulcain
tandis que sa reine retirait l’écume
du pot-au-feu avec l’écumoire d’étain.
Lorsque je traverse le pays en deuil, je ne manque jamais de jeter un
aimable coup d’œil sur les adorables petits roumis de la calotte
vinassouse qui deviendront les commis du propriétaire de la pelouse
où les locataires les plus prolétaires sont venus se mettre au vert l’année
dernière en passant par derrière où l’escalier de service leur est ouvert
grand bénéfice et les loups dans les bois ont tout ce qu’il faut sous les
yeux aux abois de ceux qu’on voudrait en défaut.
Cet imbécile de grand homme nom
d’une pomme
avait la parole facile
et combien je voudrais pouvoir lui faire
la pige pour dire que je préfère
les macarons de la pâtissière Dumontsionneau
aux filets des mythes ancestraux
sauce chapelain calotte vinassouse
c’est plus tangible
et le soir sur la pelouse
en blouse du matin
au tir à la cible
avec ratintin
qui est tout rajeuni
du retour de l’herbe tendre
ayant pris la place du gazon jauni
après la triste fête des cendres.
Et l’on dansa la chaloupée
au son des hautbois
dans une odeur de jeux de cartes coupés
et du vin que l’on boit.
La calotte vinassouse
avait son pont arrière
en panne route de Mulhouse
mais au petit matin
le vieux laitier pieux passa
à fon de train
coupé d’eau de bénitier
et tout rentra dans l’ordre
des pieds à la tête
si bien que s’en mordre
les doigts
serait bien bête.
Vous avez une florissante calotte vinassouse
dans le bocage
qui se noircit sur l’émeraude pelouse
avec rage
et les petits oiseaux dans leur chant matinal
commentent le dernier journal,
les faits divers, les bitures,
qui font travailler de la toiture
et le repasseur de ciseaux
est à son poste prou tôt.
Que tout cela mon Dieu
est passionnant
Lorsqu’on est vieux et qu’on a mal aux dents.
Votre hérédité alcoolique
de fils de la calotte vinassouse
n’a rien de la bucolique
et merveilleusement verte pelouse
qui fut macadamisée
de par la volonté du seigneur
et que voilà intronisée.
et qui est ouverte au saigneur
de porc et grand dépendeur
d’andouilles blanchi sous le harnois
et dont le détendeur
dans la flotte parfois se noie.
De la Tranchère au Puy Bernaud
En passant par le Bois Bernier
C’est un détour pour s’amuser
Et Valentine à mes côtés
Chantonne sans se lasser :
« La calotte vinassouse s’étire
et puis se roule, mais voilà
Son droit de cité
Qui manque d’authenticité. »
Puis on pousse jusqu’au buisson
Ardent, rappelant le message
Divin qui immortalisa Moïse
Pour trouver à sa base
Le rond de carton d’un pâtissier
De Chantonnay venu là
Par voie routière y subissant
Sa destinée bien sûr.
Thérèse c’est la coqueluche
Des gars de la calotte
Vinassouse et les bûches
Des joueurs de belote
Sur leurs vélomoteurs
Ne deviennent pas rares
Sur les routes des hauteurs
Où l’on en a marre de la solitude
Au point de descendre
De ces altitudes
Et le chemin à prendre
Est souvent en lacet
Et l’on y rencontre
Des amoureux enlacés
Qui ne sont pas contre
La candidature de M. le curé
Aux élections futures
Pour le pain beurré.
J’ai rêvé du pays de la calotte moins
vinassouse
J’ai rêvé aussi des jolies andalouses
Et me voici l’âme très meurtrie
Sur le chemin où abonde l’ortie.
Mais les javelles si bien façonnées
Enrichissent la splendide maisonnée
Où les femmes ne sont jamais saoules
Et où nul n’eut encore besoin qu’on lui pose des ventouses
Voilà pourquoi je réclame au milieu de mes larmes
En l’attente d’une infernale alarme
La protection de St-Laurent pour me préserver du mal de dent
Et je dis à Dieu que je prie de mon mieux
Pour la dentition dont m’ont doté les cieux
Peu après l’année des comètes, et je ne crie pas à St-Laurent
« Le diable te brûle !» mais lui murmure en ce moment
« Vous devez connaître ma tante qui reste à Marans
Rue du bateau sous un ciel d’ouest
Et jouit toujours de forts beaux restes ».
Mais voilà
que je sens qu’avec la protection de la population
Je deviendrai un roi qui sait s’exprimer
sans essoufflement et avec foi.
Ces messieurs de la calotte vinassouse
m’avaient mitré d’un bonnet d’âne
un beau soir sur la pelouse
en prenant un air crâne.
Et dans le ciel les nuages
faisaient diligence
sans trop avoir l’air à la page
en passant dessus cette engeance
et les cabots ont aboyé
en me voyant ainsi coiffé
pour rentrer dans mes foyers
où la cafetière filtrait du café.
Je leur ai tiré ma révérence
le plus vite possible
les laissant dans l’abondance
sans ombre de comestible.
Ils m’ont tiré la langue
d’un air tout empigé
dans de sales langes
et tout plein figé
puis ils m’ont montré le poing
d’un geste de menace
comme à un galopin
de la pire race
La suavité de l’écoeurante calotte vinassouse
Est délicieusement odorante le soir sur la pelouse
Pour le bal de nuit au son de la musique
Loin des pires ennuis ; des chèvres, des dindes, des biques
Jusqu’aux corps aux pieds qui sont complètements oubliés
Sur l’affreux trépieds des Dieux auxquels on se fier
Et l’on gambade à perdre haleine
Dans la campagne où beaucoup l’on peine.
C’est un péché de danser
Dans les bras de la calotte vinassouse
Mais on peut broder son chiffre enlacé
Pour orner de jolies blouses
Que les filles portent pour plaire
Aux garçons qui marchent droit
D’un pied sûr et sans manières
Et qui en plus de çà sont adroits
Et c’est faire ouvre pie
Que de bouder les garnements
Qui ont par trop la pépie
Même avant leur encasernement
Pour le maniement d’armes
Avec des instructeurs
Dans l’attente du tocsin d’alarme
Appelant même les instituteurs
Et les curés dans leurs soutanes
Tissés de laine noire
De courir rassurer Suzanne
Qui ne demande qu’à les croire.
L’instituteur roumi
de la calotte vinassouse
compte des amis chez les vire-bouses
et si Don Quichotte avait passé
le détroit de Gibraltar
il se serait battu contre les nuages
de sauterelle en guise
de moulins à vent
et sans se faire condamner à l’abattoir
par les fellagas bons enfants.
A ! charmante Dulcinée
à qui je pense sans cesse
quelle bonne matinée
quand on cloue des caisses.
Il a plus souffert de son ulcère d’estomac
que de la vulgarité de ses filles
mais le voilà qui mange du chocolat
et de délicieuses anguilles
qui sont son péché mignon.
Et ce sont là bonnes choses
meilleures que des trognons
qui rendent le pauvre morose.
Et dans ces temps d’après tam-tam
où l’école de la calotte
vinassouse ne tirera plus madame
le diable par la queue, le tram
sera pris d’assaut par des gens heureux
loin de la danse devant le buffet ayant
des monceaux à manger.
La calotte vinassouse sur son 31
car c’est dimanche
Au sud de la Manche
A cheval sur le mur mitoyen
Les cloches sonnent, tous les carillons
Les grandes personnes des sillons
De la précieuse hostie
Surgie de la sacristie
Pour figurer dans l’eucharistie.
Dans le temple enguirlandé
En travers des magasins achalandés
Qu’on ferme en ce jour de fête
Tandis que broutent au pâturage les bêtes
sereines et grasses dans la fraîcheur
Matinale propice au féticheur.
Je suis le fils et le chapelain
De la calotte vinassouse
Qui regarde les poulains
Gambader sur la pelouse
Et je fais sonner les cloches
Pour éloigner les fidèles
De ce qui est moche
Ainsi que des rebelles
Et ma fenêtre reste ouverte
Sur le vieux paganisme
Qui a encore la mine verte
Qu’on lui ait miné l’organisme.
L’hérédité alcoolique
De la calotte vinassouse
Prenait le ton bucolique
Chez les vireurs des bouses
Et Valentine restait frisée comme un mouton
Mais sans être brisée blanchissait tout de même
et s’affaissait du menton.
Elle savait toujours ce qu’elle aime
Voir en se penchant à la fenêtre
Qui donne sur la verte campagne
Qui jadis la vit naître,
Elle y gambadait en pagne
En ses vertes années
Lorsque le foie de veau se vendait
Bon marché
Heureusement que la calotte vinassouse
N’a pas dégobillé sur les tutus
Très bien cousus
Des gentilles petites péquenouses
Qui ont incarné les rats de l’opéra
Hier en grand tralala
Dans une chaleur chaleureuse
Où l’heure tourna si heureuse
Aux papas au cul terreux
Et aux mamans le cœur heureux
En ces moments inoubliables
Où même l’épine a l’air affable
Mais un grand vent vint rompre la concorde
Et chacun fort déçu rentra
Dans l’arène des mordus prêts à mordre
pour voir ce qui en restera.
Au pays de la calotte vinassouse
L’Arbre n° 19, Jean Le Mauve éditeur
Dammard (Aisne), 1979