Vera Linhartova (1938 -) : « Les années s’allient ... »
Les années s’allient et s’annulent L’instant à la
réflexion peut toujours revenir sur ses pas tandis que
moi je serai repartie pour d’autres instants tout aussi
irréfléchis
Villes entières allées rues et ponts ne s’écroulent
point sous la gravité de ces départs Les objets résistant
à l’absence des êtres Déjà le jour a changé Les murs
en s’attendant à ce que les disparus reviennent se
contentent pour l’instant des revenants taciturnes
Le lieu depuis longtemps hanté d’un visage qui n’a plus
de corps des yeux sans visage d’un creux sans yeux
d’une fissure sans creux d’un tissu sans fissure d’une
cicatrice exsangue
Ni un cataclysme ni la moindre des chose Juste ce
qu’il faut pour reconnaître la perte précise d’une chose
précieuse et le fait établi pour se remettre en route
Et puis la réalité d’une table à écrire de la table
immatérielle qui me suit où que j’aille éclairée d’une
lumière solide dont la substance ne peut pas ne pas
rester identique à elle-même
Le triomphe de la neige dans ce pays du soleil
A force d’y vivre on s’accoutume à habiter la maison
des batailles livrées sans trêve aux sons du clairon
aux nues de la poussière à l’accaparement du bruit
indécent dans ce lieu du silence
Au fond ce n’est pas vous qui seriez touchés à fond
par la grâce du supplice
Je peux attendre D’une voix blanche : j’ai tout mon
temps
Pluie fine en plein nuit
Paralysé en présence d’autrui néant à l’état splendide
de l’isolement à quoi tient enfin ce qui se cherche cons-
tamment dans une solitude peuplée
Transparent par soi-même
Twor
Editions G.L.M., 1974