Tristan Tzara (1896 – 1963) : « la tête rampe... »
Poème
la tête rampe entourée d’échos sur la trace des beuglements fumigènes
que les volcans ont sillonnés le long des migrations de prospecteurs
là-haut où tout n’est que pierre
et fragile gazouillis d’inconsolés soleils suivi
l’anémique viaduc débouche dans l’entonnoir de chaux de la vallée cravatée
de portails
et la faune métallique grouille amèrement dans la mare de rouille et de fourrure
fragile gazouillis d’inconsolés soleils – remous de dunes
dures à craquer – les courtes sauterelles dans les fentes
qu’un doute fidèle délivre des mailles palpitantes du sommeil
et les fatigues qui bavent sur les sofas brûlants où le soleil se couche
entouré de bavardes anxiétés d’escortes géométriques
de touffes d’ectoplasme de pênes dormants et hilares
de trappes translucides de haltes d’espaces
et de bariolages de gerçures cadenassées – l’air crève
et que l’amour suive l’amour d’inconsolés soleils suivi
là-haut où tout n’est que pierre
amoureux des pentes douces sorcier des brusques eaux
que la nuit grelotte au fond de cale
que tu puisses sortir des poches des cocotiers
les mouchoirs volants où sourdent les vœux des voyageurs sans lune
sur les illusions difformes et les entrepôts des races
la pluie me sa bâche de serre
et le côtre grandi au sein de corail béquète le récif
les yeux mouillés en rade de découragement
qui t’attendent
là-haut où tout n’est que pierre
et s’en détournent avec indifférence
des chants voraces ont embrouillé les plumes de leurs mesures mourantes
au pupitre du navire où le vent a ramassé le déluge de toutes les directions que
les faunes ont suivies et délaissées
tant ils tournoyaient de lents printemps dans l’œil clément de l’embouchure
que les écueils s’étaient mis à frémir des oreilles de radeaux
que les insectes durcis à la lune mijotaient dans l’impuissance des rêveries
c’était des cloches des immémoriaux bastingages que les giboulées des siècles
giflaient les voûtes
le fruit du sable blême gisait auprès du mamelon d’effroi
et la rude falaise assise en elle-même les genoux au menton
mastiquait son étoile et la paisible lumière qui la gouvernait
ramasseuse de mégots dans les brousses d’extases
et d’astres délabrés tombés loin dans la fosse aux secrets
tronçons de pays de lourdeurs déchiquetés segments d’invraisemblables
soupçons
de trébuchantes fluidités de ressac
distraite convalescence de flammes de casoars
là-haut où tout n’est que pierre
les cuves mystérieuses de la fascination
fermentent le blé illusoire des voix
sur les branchages des cataractes le soir les araignées des yeux se muent en
peine
sauvage espoir projeté avec les boomerangs et les comètes
dans l’obscure humidité de jais que nul retour n’effleure d’ailes pensantes
ni de tisons d’amour
et la dormeuse – incrédule aux vagabondes caresses –
ceinte des galères où se pétrit l’esprit
où nulle avance ne fêle d’un infidèle reflet l’étoilée paresse du mystère
se fraye un essor dans le sentier de tessons de proverbes que le bruit dissimule
vers la chair infiniment mobile du rêve
et s’en détourne avec indifférence
et c’est dans la fumée les treilles de fumée la fumée
que caracole le beaupré piétine le grésil
c’est dans la fumée des pâturages extrêmes là tout n’est que pierre
et c’est la fumée du soleil qui monte de l’éboulement des dés
les attroupements des cases autour des aveugles résignations
les côteaux déplissés aux passages des lourds convois de chaleurs
les lents loisirs élimés couverts sous le plaid des fourrages
évanouie figure dans le bruit des bêtes
éclat épanoui dans le panier de bruits
et coupant en biais le crayeux relief la torpeur de ce bruit
tatoue la façade de funestes visées
er d’amour
tant d’heures m’ont bâti de leur ciment friable de tibias en croix
tant d’hommes m’ont précédé dans l’auguste sillon d’exaltation
tant d’âme s’est dispersé à édifier la chance que je joue
dans la geôle sans compagnon où rode un sang épais de remords
tant de douces frénésies ont charrié des paysages vers mes yeux
et d’amères consciences ont retenu les lames de fond dans leur tamis d’anxiété
tant d’invisibles voyages ont trempé dans mes sens
tant d’alcalins miracles nous ont lié
à la flottille de paroles – sédiment des divines insinuations
et déposé de fugitives hypothèses dans les creusets des minuits de l’esprit
où se brisent les lames de fond et celles de l’amour se brisent
et tant d’autres s’enflent et se dénouent
et tant d’autres se brisent secrètement
et que le hibou marche et que la nuit tresse
et que la nuit marche sur le pied de l’étang
et que le rocher tressé de hiboux dresse sa tente
que le froid vienne de nus boas couvrir la paix de la colombe
là-haut où tout n’est que pierre
où l’herbe durcit où les doigts se fanent
où le héron craint le flot où son ombre grésille
où les bijoux tombent et les lèvres du glacier vacillent
où le fœtus se creuse l’écrin dans la lampe mandibule
où le souvenir secoue le vent des victoires sur le deck
où l’on écrase la côte pelure du temps
où l’ouïe se voile d’orient d’autrefois et de fatalité
sur les mouvantes vanités des distances de cristal
là-haut tout n’est que pierre indéfiniment
et dans l’alambic des jeux où nous versons les larmes et là-haut tout n’est que
pierre
l’alarme celle qui sonne une seule fois sonne tirée du haut d’une larme au
hauban
suspendue au gosier crachat du vent lente à ne pas pouvoir dormir
déchirée du soleil visitée des soleils lourde à la mer
tant que l’ombre grignote des bords poreux de la nuit
tant que les feux se rangent du côté des amis sur les bancs
et s’en détournent avec indifférence
l’oiseleur de quartz peut abreuver la lumière naine d’abside
au chuchotement qui perle le déclic de son élytre
mais de quel irréel désordre de cryptes et de paupières
de quelle âpre couleur du fond des refrains
avons-nous puisé l’ancien dégoût couvert sous feuille morte de boucliers
et entourés d’invisible boucliers
repoussant toute vie sur le passage
l’ennui – infernal moyen - les vilebrequins furetant le bled –
leur bourdonnant magnétisme cernant les alligators dans le marcher sans pas –
avons-nous atteint - là-haut où tout n’est que pierre – la fraternelle pierre
là-haut où tout n’est que pierre
et contagion dans le hâvre des talismans et des instincts
miroir englouti dans les amples golfes nous rendra-t-on à l’aurore les vitreux
refuges
des feintes nudités les noms où n’ondule encore que l’indulgence des roches
les bastions de la chaîne humaine lustrés de mica
rabottent le massif de nuages – ce sont les dents du tonnerre –
gorge déployée – que nous tend la croûte de neige –
ricanent là-haut
un hiatus dans la béante éternité a mordu
et les terrasses se fendent jusqu’au cœur des croyances
les zones de cerveaux démantelés glissent sur des embarcations de perfides
limites
ce sont les amorces de nos expériences –
polaire désagrégation – caverneuse fanfare –
qui s’en détournent avec indifférence
frileux avenir – lent à venir
un écumant sursaut m’a mis sur la trace de regard
là-haut où tout n’est que pierre et nappe de temps
voisin des crêtes argileuses où les jamais s’enflent sous robe d’allusions
je chante l’incalculable aumône d’amertume
qu’un ciel de pierre nous jette – nourriture de honte et de râle –
en nous rit l’abîme
que nulle mesure n’entame
que nulle voix ne s’aventure à éclairer
in saisissable se tend son réseau de risque et d’orgueil le pouls de la nuit
là où l’on ne peut plus
où se perd le règne le silence plat
ainsi se rangent les jours au nombre des désinvoltures
et les sommeils vivent aux crochets du jour sous leur joug
jour après jour se range la queue et danse autour
et là-haut tout n’est que pierre et danse autour
In, Revue « Bifur, N° 1 »
Editions du Carrefour, 1929
Du même auteur :
« dimanche lourd couvercle… » (17/06/2014)
Il fait soir (15/07/2014)
Sur le chemin des étoiles de mer (22/01/2016)
« il y a un bien beau pays dans sa tête… » (22/01/2017)
Terre invisible (22/02/2018)
« J’avance lentement... » (22/02/2020)
Doutes / Indoieli (22/01/2021)
« Le trot des mulets... » (22/01/2022)
Réalités cosmiques (22/02/2023)
Insomnie II (22/02/2024)
Herbiers des jeux et des calculs -22/02/2025)