Paul Celan (1920 – 1970) : « Voix... / Stimmen... »
Voix , rayures gravées
sur la face verte de l'eau.
quand le martin-pêcheur plonge,
la seconde grésille
ce qui était avec toi
sur chacune des rives,
pénètre
fauché dans une autre image.
*
Voix venues du chemin d'orties:
viens sur les mains jusqu'à nous.
Quand on est seul avec la lampe,
on n'a que la main pour y lire.
*
Voix, envahies de nuit, cordes
auxquelles tu pends la cloche.
Arque-toi, monde :
quand le coquillage des morts s'approchera de la rive
les cloches vont sonner ici.
*
Voix devant qui ton cœur reflue
jusque dans le cœur de ta mère.
Voix venues de l'arbre gibet,
où bois dur et bois jeune échangent,
sans cesse échangent leurs anneaux.
*
Voix, rauques, dans le gravillon,
où pelle aussi de l'infini,
rigole de
mucosité.
Mets à l'eau ici, enfant, les barques
que j'ai munies d'hommes d'équipage:
quand à mi-coque la bourrasque vient se mettre dans son droit
les serres se réunissent.
*
Voix de Jacob:
Les larmes.
Les larmes dans l'œil frère.
L'une d'elles est restée suspendue, a grossi.
Nous habitons dedans.
Respire, pour
qu' elle se détache.
*
Voix dans l'intérieur de l'arche:
n'ont été
sauvées que les
bouches. Vous
qui sombrez, écoutez-
nous aussi.
*
Pas une
voix - un
bruit de la fin, étranger aux heures, offert
à tes pensées, ici, enfin porté
jusqu'ici à force de veille : un
pistil, gros comme un œil, avec une profonde
rayure, il
bave de la résine, il ne veut pas
cicatriser.
Traduit de l’allemand par Jean-Pierre Lefebvre
in, Paul Celan : « Choix de poèmes, réunis par l’auteur »
Editions Gallimard (Poésie), 1998
Du même auteur :
Fugue de mort / Todesfuge (01/12/2014)
Strette / Engfürhrung (01/12/2015)
Matière de Bretagne (01/12/2016)
Le Menhir (01/12/2017)
Psaume / Psalm (01/12/2019)
Eloge du lointain / Lob der Ferne (01/12/2020)
« La nuit, quand le pendule de l’amour... » / « Nachts, wenn das Pendel der Liebe... » (01/12/2021)
Port / Hafen (01/12/2022)
« Dans la matière des anges... » (01/12/2023)
Quatre poèmes berlinois (1967) (01/12/2024)
Stimmen, ins Grün
der Wasserfläche geritzt.
Wenn der Eisvogel taucht,
sirrt die Sekunde:
Was zu dir stand
an jedem der Ufer,
es tritt
gemäht in ein anderes Bild.
*
Stimmen vom Nesselweg her :
Komm auf den Händen zu uns.
Wer mit der Lampe allein ist,
hat nur die Hand, draus zu lesen.
*
Stimmen, nachtdurchwachsen, Stränge,
an die du die Glocke hängst.
Wölbe dich, Welt :
Wenn die Totenmuschel heranschwimmt,
will es hier läuten.
*
Stimmen, vor denen dein Herz
ins Herz deiner Mutter zurückweicht.
Stimmen vom Galgenbaum her,
wo Spätholz und Frühholz die Ringe
tauschen und tauschen.
*
Stimmen, kehlig, im Grus,
darin auch Unendliches schaufelt,
(herz-)
schleimiges Rinnsal.
Setz hier die Boote aus, Kind,
die ich bemannte :
Wenn mittschiffs die Bö sich ins Recht setzt,
treten die Klammern zusammen.
*
Jakobsstimme :
Die Tränen.
Die Tränen im Bruderaug.
Eine blieb hängen, wuchs.
Wir wohnen darin.
Atme, dass
sie sich löse.
*
Stimmen im Innern der Arche :
Es sind
nur die Münder
geborgen. Ihr
Sinkenden, hört
auch uns.
*
Keine
Stimme - ein
Spätgeräusch, stundenfremd, deinen
Gedanken geschenkt, hier, endlich
herbeigewacht : ein
Fruchtblatt, augengross, tief
geritzt; es
harzt, will nicht
vernarben.
Sprachgitter,
Fischer Verlag, Frankfurt, 1959
Poème précédent en allemand :
WolfdietrichSchnurre : Harangue du policier de banlieue pendant sa ronde du matin /Ansprache des vorortpolizisten waehrend der morgenrunde (28/11/2018)
Poème suivant en allemand :
Brigitte Oleschinski : Puis à nouveau le long des façades / Dann nieder die niedrigen buckligen (16/12/2018)