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Le bar à poèmes
8 novembre 2018

William Blake (1757 – 1827) : Proverbes de l’Enfer / Proverbs of Hell

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Proverbes de l’Enfer

 

Aux semailles, apprends ; à la moisson, enseigne ; en hiver, jouis.

Conduis ton char et ta charrue par-dessus les ossements des morts.

La route de l’excès mène au chemin de la sagesse.

La Prudence est une vieille fille riche et laide que l’Incapacité courtise

Qui désire mais n’agit pas, engendre la pestilence.

Le ver coupé pardonne à la charrue.

Celui qui aime l’eau, qu’on le plonge dans le fleuve.

Un fou ne voit pas le même arbre qu’un sage.

Celui dont le visage ne rayonne pas, ne deviendra jamais un astre.

L’Eternité est amoureuse des produits du temps.

L’abeille industrieuse n’a pas le temps d’être chagrine.

Les heures de folie, l’horloge les mesure ; mais les heures de sagesse, il n’est

     d’horloge qui les puisse mesurer.

Nulle saine nourriture ne se prend au piège ni au filet.

Réserve chiffres, poids et mesures pour les années maigres.

Nul oiseau ne vole trop haut s’il vole de ses propres ailes.

Un corps mort ne se venge pas des injures.

L’acte le plus sublime, c’est de mettre autrui avant soi.

Le fou, s’il persévérait dans sa folie, deviendrait sage.

La Folie c’est le manteau de la friponnerie.

La Honte est le manteau de l’Orgueil.

 

Les Prisons se construisent avec les pierres de la Loi, les Bordels avec les

     briques de la Religion.

La superbe du paon est la gloire de Dieu.

La lubricité du bouc est la munificence de Dieu.

La colère du lion est la sagesse de Dieu.

La nudité de la femme est l’ouvre de Dieu.

L’excès de chagrin rit. L’excès de joie pleure.

Le rugissement du lion, le hurlement du loup, le déchaînement de la mer en

     furie et l’épée destructrice sont des fragments d’éternité trop vastes pour

     l’œil de l’homme.

Le renard accuse le piège, il ne s’en prend pas à lui-même.

Les joies fécondent. Les peines accouchent.

Que l’homme porte la peau du lion, la femme la toison de la brebis.

A l’oiseau le nid, à l’araignée la toile, à l’homme l’amitié.

Le fou égoïste et souriant comme le fou maussade et sourcilleux seront tous

     deux tenus pour sages en sorte qu’ils fassent office de verge.

Ce qui maintenant est prouvé ne fut jadis qu’imaginé.

Le rat, la souris, le renard, le lapin guettent les racines ; le lion, le tigre, le

     cheval , l’éléphant guettent les fruits.

La citerne contient, la fontaine déborde.

Une pensée, et voilà l’immensité remplie.

Sois toujours prêt à dire ce que tu penses et l’homme vil t’évitera.

Tout ce qu’il est possible de croire est une image de la vérité.

Jamais l’aigle ne perdit plus de temps que lorsqu’il se laissa instruire par le

     corbeau.

Le renard se pourvoit, mais Dieu pourvoit au lion.

Pense le matin. Agis à midi. Mange le soir. Dors la nuit.

Qui s’en est laissé imposer par toi, te connaît.

Comme la charrue obéit à la voix, ainsi Dieu exauce les prières.

Les tigres de la colère sont plus sages que les chevaux de l’instruction.

Attends poison de l’eau qui dort.

On ne sait jamais ce qui suffit si l’on n’a pas connu l’excès.

Ecoute les reproches du fou ! c’est là un titre royal !

Les yeux, de feu ; les narines, d’air ; la bouche, d’eau ; la barbe, de terre.

Faible en courage, fort en ruse.

Le pommier ne demandera jamais au hêtre comment pousser ; ni le lion au

     cheval comment saisir sa proie.

Qui reçoit avec gratitude moissonnera dans l’abondance.

Si d’autres n’avaient été sots, ce serait à nous de l’être.

L’âme du suave délice ne saurait être souillée.

Quand tu vois un Aigle, tu vois une parcelle de Génie ; lève la tête !

De même que la chenille choisit les plus belles feuilles pour y poser ses œufs,

     de même le prêtre pose ses malédictions sur les plus belles joies.

Créer une petite fleur vaut le labeur des siècles.

Maudire tonifie. Bénir alanguit.

Le meilleur vin, c’est le plus vieux ; la meilleure eau, la plus nouvelle.

Les prières ne labourent pas ! Les louanges ne récoltent pas !

Les joies ne rient pas ! Les chagrins ne pleurent pas !

Pour la tête le Sublime, pour le cœur le Pathétique, pour les génitoires la

     Beauté, pour les mains et les pieds la Proportion.

Ce que l’air est à l’oiseau ou la mer au poisson, le mépris l’est au méprisable.

Le corbeau aurait voulu que tout fût noir, la chouette que tout fût blanc.

Exubérance est Beauté.

Si le lion prenait conseil du renard, il serait rusé.

Le Progrès trace des routes droites ; mais les routes sinueuses intouchées du

     Progrès sont celles du Génie.

Plutôt assassiner un enfant au berceau que de nourrir d’insatisfaits désirs.

Où l’homme n’est pas, la nature est stérile.

La Vérité ne peut jamais être dite de telle sorte qu’elle soit comprise et qu’elle

     ne soit pas crue.

Assez ! ou Trop.

 

Traduit de l’anglais par Pierre Leyris

in, « Anthologie bilingue de la poésie anglaise »

Editions Gallimard (La Pléiade), 2005

Du même auteur :

“ L’alouette, sur son lit de terre… / The Lark, sitting upon his earthy bed…” (28/04/2015)

A l’étoile du soir / To the evening star (08/07/24)

 

 

Proverbs of Hell

 

In seed time learn, in harvest teach, in winter enjoy.

Drive your cart and your plough over the bones of the dead.

The road of excess leads to the palace of wisdom.

Prudence is a rich ugly old maid courted by incapacity.

He who desires but acts not, breeds pestilence.

The cut worm forgives the plough.

Dip him in the river who loves water.

A fool sees not the same tree that a wise man sees.

He whose face gives no light, shall never become a star.

Eternity is in love with the productions of Time.

The busy bee has no time for sorrow.

The hours of folly are measured by the clock, but of wisdom: no clock can

     measure.

All wholesom food is caught without a net or a trap.

Bring out number weight and measure in a year of dearth.

No bird soars too high, if he soars with his own wings.

 A dead body, revenges not injuries.

The most sublime act is to set another before you.

If the fool would persist in his folly he would become wise.

Folly is the cloak of Knavery.

Shame is Pride’s cloak.

 

Prisons are built with stones of Law, brothels with bricks of Religion.

The pride of the peacock is the glory of God.

The lust of the goat is the bounty of God.

The wrath of the lion is the wisdom of God.

The nakedness of woman is the work of God.

Excess of sorrow laughs. Excess of joy weeps.

The roaring of lions, the howling of wolves, the raging of the stormy sea, and

     the destructive sword, are portions of eternity too great for the eye of man.

The fox condemns the trap, not himself.

Joys impregnate. Sorrows bring forth.

Let man wear the fell of the lion, woman the fleece of the sheep.

The bird a nest, the spider a web, man friendship.

The selfish smiling fool and thesullen frowning fool, shall be both thought

     wise, that they may be a rod.

What is now proved was once, only imagined.

The rat, the mouse, the fox, the rabbit, watch the roots. The lion, the tyger, the

     horse, the elephant, watch the fruits.

The cistern contains : the fountain overflows.

One thought, fills immensity.

Always be ready to speak your mind, and a base man will avoid you.

Everything possible to be believed is an image of truth.

The eagle never lost so much time, as when he submitted to learn of the crow.

The fox provides for himself, but God provides for the lion.

 

Think in the morning. Act in the noon. Eat in the evening. Sleep in the night.

He who has suffered you to impose on him, knows you.

As the plough follows words, so God rewards prayers.

The tigers of wrath are wiser than the horses of instruction.

Expect poison from the standing water.

You never know what is enough unless you know what is more than enough.

Listen to the fools reproach :  it is a kingly title.

The eyes of fire, the nostrils of air, the mouth of water, the beard of earth.

The weak in courage is strong in cunning.

The apple tree never asks the beech how he shall grow, nor the lion, the

     horse, how he shall take his prey.

The thankful receiver bears a plentiful harvest.

If others had not been foolish, we should be so.

The soul of sweet delight, can never be defiled.

When thou seest an Eagle, thou seest a portion of genius, lift up thy head!

As the caterpillar chooses the fairest leaves to lay her eggs on, so the priest  

     lays his curse on the fairest joys.

To create a little flower is the labour of ages.

Damn braces. Bless relaxes.

The best wine is the oldest, the best water the newest.

Prayers plough not. Praises reap not. Joys laugh not. Sorrows weep not.

The head Sublime, the heart Pathos, the genitals Beauty, the hands and feet

     proportion.

As the air to a bird of the sea to a fish, so is contempt to the contemptible.

The crow wished every thing was black; the owl, that everything was white.

Exuberance is Beauty.

If the lion was advised by the fox, he would be cunning.

Improvement makes strait roads, but the crooked roads without improvement,   

     are roads of Genius.

Sooner murder an infant in its cradle than nurse unacted desires.

Where man is not nature is barren.

Truth can never be told so as to be understood, and not be believed.

Enough, or too much!

 

Poème précédent en anglais :

William Butler Yeats: L’île du lac d’Innisfree  / The lake isle of Innisfree (30/10/2018)

Poème suivant en anglais :

Dylan Thomas: De son anniversaire / On his birhtday (30/12/2018)

 

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