Pierre Unik (1910 – 1945) : Les égaux
Trop ténébreuse est la lumière
qui filtre par le soupirail
dans les tribunaux
on la reconnaît autour des édifices
à ces particules blanchâtres qu’elle tient en suspension
os oubliés de caravane sur les mers
à grande distance d’une île volcanique
protégée par les abîmes sélénites
trop ténébreuse
cette lumière des cours d’école
pour les yeux des enfants mal lavés
dans leurs guenilles saignantes
ils regardent leur genou écorché
rien n’est plus triste que cette lumière perdue
qui flotte sur les arbres des cours
d’une caserne à une prison
d’une école à un asile
Dans les gouffres maritimes des tribunaux fonctionnent
une guillotine pour errants
les déshérités de l’eau
qui sortent de la salle de classe
le cartable sur le dos
le tablier noir
des grammaires abyssales enseignent l’ A B C des profondeurs
où la lumière est mais oui la lumière
un vain mot
des huissiers circulent aux confins des atolls
un jour un courant pas encore étudié emportera les bases du tribunal
parmi les flots d’encre des seiches
sous le ricanement des élèves du cours supérieur
qui apprennent la balistique car ils seront officiers
et feront calvacader l’artillerie sur les grandes places
madréporiques
la nuit vient quelques enfants solitaires
sortent des murs sans être vus
sur des terrains vagues ils rampent
loin des globes phosphorescents
ils jouent dans les cabanes de charbonniers
avec des bouts d’allumettes et des os noircis
ils jouent ce qu’ils seront dans une autre vie
où la lumière serait réelle
avant l’aube ils reviennent en frôlant les maisons
très vite ils s’engouffrent dans un bâtiment informe
à l’entrée duquel on peut lire
MANUFACTURE CORDIALE
On entend déjà défiler dans les rues
les régiments d’épaves diurnes.
Le Théâtre des nuits blanches
Editions surréalistes, 1931
Du même auteur :
La société sans hommes (26/10/2019)
Appel (26/10/2020)
L’oubli (26/10/2021)