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Le bar à poèmes
24 août 2018

Michel Seuphor (1901 – 1999) : Les vieux amis

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Les vieux amis

Une lyromanie pour Marcel Janco

 

janco hinco yinco colo

janco hinto tajmahal

janco colomayo trogo

janco calamistero (tero)

 

   Les vieux amis sont des crocodiles qui traînent un peu partout dans la maison

et qui de temps en temps vous mangent un membre cru. Les jeudis treize à

marée haute ils se mettent sur le dos afin que l’on fasse luire comme un miroir

leur ventre vertueux.

   Les vieux amis sont des maisons très hautes qui cachent une partie du ciel

mais font très bien dans le paysage. Les soirs d’automne leur éclairage

 embaume tout alentour.

    Les vieux amis sont des oranges blanches qu’on garde pour la soif et qui ont

soif elles-mêmes de sel.

   Les vieux amis sont des princes que l’on sort à Pâques et à la Trinité. Alors

on les pique à vif pour qu’ils paient de mine et enfantent des onomatopées.

   Les vieux amis sont des boutiques pleines de monde.

   Les vieux amis sont des topinambours.

   Les vieux amis sont des rimes riches au bout de beaux alexandrins tant soit

peu caramélisés.

   Les vieux amis sont des toboggans.

   Les vieux amis ont les yeux tour à tour lisses et pluvieux, ils jettent feux et

flammes quand on dit simplement or donc.

   Les vieux amis sont des hirondelles.

   Les vieux amis sont des lacs.

   Des lacs en Forêt-Noire entourés de silence, bourrés d’échos

   Et les torrents bavards n’en savent rien. ch…

   Oh! la-laa!

   Les vieux amis frisent la dolescence et se portent comme un charme jusqu’à

ce que le compte y est.

   Comment vont les enfants?

   Les vieux amis sont coïncidents, concomitants, collatéraux, Kirghizes et

polyglottes. Ils vont et viennent, et dans ce monde changeant il y a ce monde

qui ne change pas.

   Les vieux amis sont des trapèzes volants qu’on attrape n’importe quand et

qui n’importe quand vous emmènent dans un ciel plein de bulles et de flons.

   Les vieux amis sentent bon le terroir,

   le terreau, la terre fraîchement remuée, la fosse.

   Ils phosphorent.

   On les appelle à tort vielles branches. Ce ne sont pas des vieilles branches

mais des rameaux verts, aussi verts que la neige.

   Les vieux amis sont des caravansérails sans fin qui se souviennent de

caravansérails sans fin.

    Les vieux amis sont des sommets et les sommets sont des témoins oculaires,

pour cela inestimables, pour cela surfaits, pour cela faciles à croquer, pour cela

fleurs, pour cela frustres, pour cela faisandés, pour cela friandises, pour cela

ficelles, pour cela ficelés. 

   Saluts vieux amis de la bonne année, de la bonne souche, de la bonne cave,

du bon vieux temps, de l’image d’Epinal, du poivre de Cayenne, de la

potence !

     Sont pléistocènes, sont d’avant-garde, sont patibulaires. Nous dépendons de

trois empans de ces pendus et de la moitié de l’œil.

   Qu’on les transpande avec des chants ! qu’on les guirlande ! qu’on les

enhymne jusqu’aux Himalayas !

janco hinco yinco colo

janco hinco tajmahal

janco colomayo trogo

janco calamistero

 

La vocation des Mots

Editions Hanc (Lausanne),1966

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