Adonis (1930 -) / أدونيس : Corps, 7
7. Au nom de mon corps
Au nom de mon corps le vivant /mort, le mort/ vivant
dénué de forme, et qui en a autant de pores,
au nom de ce je qui n’est pas moi
de ce tu, femme, qui n’est pas toi,
nous reformerons notre parler, nos deux langues
nous instaurerons des mots à la mesure de la langue, des lèvres, du palais, du gosier
nos deux corps entreront dans des limbes de brousses et de noces
pour tous deux se détruire / se rebâtir
en une vague
de célébration
sans forme :
lentement / rapidement
en direction de ce que nous appelions : vie
et c’était l’exorde de la mort
Au nom de mon corps le mort / vivant, le vivant / mort
un cyprès s’élève entre le nom et le visage
le langage revient à sa première maison
l’amour était une tombe
j’y entrai /j’en sortis
c’était une fête pour le repos des artères.
Et moururent grammaire et déclinaisons
dociles elles se rassemblèrent comme pour un jugement dernier.
Par-devant la première ode que j’écrivis, et la dernière
leur rassemblement se mit à juger, à trancher
condamner / innocenter :
pour que la nuit vienne
le jour doit s’évader du jour,
pour que le jour vienne
la nuit doit s’évader de la nuit,
pour que la terre reste fidèle à la mémoire des herbes
elle doit de chaumes se couvrir.
Au nom de mon corps le vivant /mort, le mort/ vivant
il appartient au corps de trancher
entre lui-même er lui-même,
d’emprisonner la chair dans la chair,
de combattre la cellule par la cellule,
d’ensemencer mon sang et de le moissonner.
enfin il appartient au corps d’être un corps :
d’être son contraire.
Traduit de l’arabe par Jacques Berque
In, Adonis « Singuliers »,
Editions Sindbad / Actes Sud, 1994
Du même auteur :
Corps, 4 (23/05/2015)
Pays des bourgeons (23/05/2016)
Miroir du chemin, chronique des branches (23/05/2017)
Chronique des branches (23/05/2019)
Corps, 1 et 2 (23/05/2020)
Corps, 3 (23/05/2021)
Corps, 5 (23/05/2022)
Corps, 6 (23/05/2023)
Le charmeur de poussière (1) (23/05/2024)