Guillaume Apollinaire (1880 – 1918) : Vitam impendere amori
Vitam impendere amori
L’amour est mort entre tes bras
Te souviens-tu de sa rencontre
Il est mort tu la referas
Il s’en revient à ta rencontre
Encore un printemps de passé
Je songe à ce qu’il eut de tendre
Adieu saison qui finissez
Vous nous reviendrez aussi tendre
Dans le crépuscule fané
Où plusieurs amours se bousculent
Ton souvenir gît enchaîné
Loin de nos ombres qui reculent
Ô mains qu’enchaîne la mémoire
Et brûlantes comme un bûcher
Où le dernier des phénix noire
Perfection vient se jucher
La chaîne s’use maille à maille
Ton souvenir riant de nous
S’enfuir l’entends-tu qui nous raille
Et je retombe à tes genoux
Tu n’as pas surpris mon secret
Déjà le cortège s’avance
Mais il nous reste le regret
De n’être pas de connivence
La rose flotte au fil de l’eau
Les masques ont passé par bandes
Il tremble en moi comme un grelot
Ce lourd secret que tu quémandes
Le soir tombe et dans le jardin
Elles racontent des histoires
À la nuit qui non sans dédain
Répand leurs chevelures noires
Petits enfants petits enfants
Vos ailes se sont envolées
Mais rose toi qui te défends
Perds tes odeurs inégalées
Car voici l’heure du larcin
De plumes de fleurs et de tresses
Cueillez le jet d’eau du bassin
Dont les roses sont les maîtresses
Tu descendais dans l’eau si claire
Je me noyais dans ton regard
Le soldat passe elle se penche
Se détourne et casse une branche
Tu flottes sur l’onde nocturne
La flamme est mon cœur renversé
Couleur de l’écaille du peigne
Que reflète l’eau qui te baigne
Ô ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s’en vient la saison
Et des dédains et du soupçon
Le paysage est fait de toiles
Il coule un faux fleuve de sang
Et sous l’arbre fleuri d’étoiles
Un clown est l’unique passant
Un froid rayon poudroie et joue
Sur les décors et sur ta joue
Un coup de revolver un cri
Dans l’ombre un portrait a souri
La vitre du cadre est brisée
Un air qu’on ne peut définir
Hésite entre son et pensée
Entre avenir et souvenir
Ô ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s’en vient la saison
Des regrets et de la raison
Vitam impendere mori
Editions du Mercure de France, 1917
Du même auteur :
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