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Le bar à poèmes
30 avril 2025

Guillaume Apollinaire (1880 – 1918) : L’amour, le dédain et l’espérance

Portrait par Pierre de Belay (1890-1947), Dessin sur papier, BNF

 

 

L’amour, le dédain et l’espérance

 

 

Je t’ai prise contre ma poitrine comme une colombe qu’une petite fille étouffe 


     sans le savoir

 

 

Je t’ai prise avec toute ta beauté ta beauté plus riche que tous les placers de la 


     Californie ne le furent au temps de la fièvre de l’or

 

 

J’ai empli mon avidité sensuelle de ton sourire, de tes regards, de tes frémissements

 

 

J’ai eu à moi à ma disposition ton orgueil même quand je te tenais courbée et 


     que tu subissais ma puissance et ma domination)

 

 

J’ai cru prendre tout cela, ce n’était qu’un prestige

 

 

Et je demeure semblable à Ixion après qu’il eut fait l’amour avec le fantôme 


     de nuées fait à la semblance de celle qu’on appelle Héra ou bien Junon 


     l’invisible.

 

 

Et qui peut prendre, qui peut saisir des nuages qui peut mettre la main sur un 


     mirage et qu’il se trompe celui-là qui croit emplir ses bras de l’azur 


     céleste

 

 

J’ai bien cru prendre toute ta beauté et je n’ai eu que ton corps

 

 

Le corps hélas n’a pas l’éternité

 

 

Le corps a la fonction de jouir mais il n’a pas l’amour

 

 

Et c’est en vain maintenant que j’essaie d’étreindre ton esprit

 

 

Il fuit il me fuit de toutes parts comme un noeud de couleuvres qui se dénoue

 

 

Et tes beaux bras sur l’horizon lointain sont des serpents couleur d’aurore qui 


     se lovent en signe d’adieu

 

 

Je reste confus je demeure confondu

 

 

Je me sens las de cet amour que tu dédaignes

 

 

Je suis honteux de cet amour que tu méprises tant

 

 


Le corps ne va pas sans l’âme

 

 

Et comment pourrais-je espérer rejoindre ton corps de naguère puisque ton âme 


     était si éloignée de moi

 

 

Et que le corps a rejoint l’âme

 

 

Comme font tous les corps vivants

 

 

Ô toi que je n’ai possédée que morte

 

 

*

 

Et malgré tout, cependant que parfois je regarde au loin si vient le vaguemestre

 

 

Et que j’attends comme un délice ta lettre quotidienne mon cœur bondit comme 


     un chevreuil lorsque je vois venir le messager

 

 

Et j’imagine alors des choses impossibles puisque ton coeur n’est pas avec moi

 

 

Et j’imagine alors que nous allons nous embarquer, tous deux, tout seuls peut-


     être trois, et que jamais personne au monde ne saurait rien de notre cher 


     voyage vers rien, mais vers ailleurs et pour toujours

 

 

Sur cette mer plus bleue encore, plus bleue que tout le bleu du monde

 

 

Sur cette mer où jamais l’on ne crierait Terre 

 

 

Pour ton attentive beauté mes chants plus purs que toutes les paroles 


     monteraient plus libres encore que les flots

 

 

Est-il trop tard mon coeur pour ce mystérieux voyage

 

 

La barque nous attend c’est notre imagination

 

 

Et la réalité nous rejoindra un jour

 

 

        Si les âmes se sont rejointes

 

 

Pour le trop beau pèlerinage

 

 

*

 

Allons mon coeur d’homme la lampe va s’éteindre

 

 

Verses-y ton sang

 

 

Allons ma vie, alimente cette lampe d’amour

 

 

Allons canons ouvrez la route

 

 

Et qu’il arrive enfin le temps victorieux le cher temps du retour

 

 

*

Je donne à mon espoir mes yeux ces pierreries

 

Je donne à mon espoir mes mains, palmes de victoire

 

 

Je donne à mon espoir mes pieds chars de triomphe

 

 

Je donne à mon espoir ma bouche, ce baiser

 

 

Je donne à mon espoir mes narines qu’embaument les fleurs de la mi-mai

 

 

Je donne à mon espoir mon cœur en ex-voto

 

 

Je donne à mon espoir tout l’avenir qui tremble comme une petite lueur au loin 


     dans la forêt

 

 

 


Poèmes à Lou,


Pierre Cailler Editeur, Genève, 1955

 


Du même auteur :


Les colchiques (14/05/2014)


Le pont Mirabeau (14/05/2015)


A la Santé (14/05/2016) 


Si je mourais là-bas (14//05/2017)

 

Vitam impendere amori (01 /05/2018)


Départ (01/05/2019)


Corps de chasse (01/05/2020)


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