Franck Venaille (1936 -2018) : « Le marcheur d’eau… »
Le marcheur d’eau
Il étreint le froid
Il étreint le vide
Il a peur du vide
Craint de ressembler aux joncs
Il guette le vide
Le givre avec sa tête de mouton
L’enserre et le cerne
Dure est cette angoisse
De la bête perdue
Qui étreint le froid
Qui étreint le vide
L’écluse fermée
On y regarde l’eau dans les yeux
Etreignant le froid
Etreignant le vide
On marche dans la fêlure intime du monde
Ces soubresauts nés de la douleur primitive
Quelle est la voix qui le dira ? Quel sera
ce corps qui saura mener jusqu’à son terme la
Valse triste ? Une voix s’élève à l’intérieur
De nous-même – voix chère – exprimant ce qui s’
Apparente à l’expression de la plainte première
Je suis cet homme-là qui, tant et tant, crut aux ver-
Tiges et qui, désormais, dans la déchirure du lan-
gage se tient, regard clair, miné toutefois, blessé
Dans la fêlure du monde où les plaies suintent.
J’ai droit au repos du cheval journalier Dé-
dormais je ne partirai plus vers quel labeur
Et je suis ce centaure qui s’éveille et geint
Autour de lui les aveugles s’affolent craignant
Ses ruades Ô grand cheval qui, autrefois, tractais
vers la berge les navires, te voilà effacé Il ne
demeure de toi que ce signe sur cette feuille
Sont-ce tes traces dernières ? Ta signature de sabot ?
Ebroue toi ! Redonne-moi confiance ! Plongeons en-
Semble Je saurai bien te faire retrouver cette joie
enfantine que tu poursuis sur la rive noyé à demi.
Du vaste paysage autrefois immergé s’
Elève une plainte dont nul ne connaît l’origine
Exprime-t-elle ce que les hommes nomment : la
Douleur ? Dit-elle ce, qu’à eux-mêmes, se cachent
Les peupliers serrés comme autant de frères au-
Tour de la dépouille du père Et qui geignent !
Disant l’angoisse ancestrale des pays plats
devant la montée de l’eau Ah ! Tous ces arbres
Dressés à l’intérieur même du fleuve Que je ne
sais pas voir mais dont je sens la solitude
Tels les grands crucifiés à l’angle des plaines !
Ce n’est pas là – où paissent les moutons de sel – que se
terrent les images perverses du monde Pas en un tel lieu
Où le pâle soleil blanc projette mon reflet à l’avant du
cargo Babtai Là je distingue alors la silhouette ô combien
Contrefaite que, désormais, les troupeaux d’eau connaissent
bien Ce n’est pas là ! Voici plutôt l’apaisement le renon-
Cement Et ce compagnonnage avec le fleuve n’est en rien équi-
voque J’ai marché bu des bières au filtre magique pleuré Me
Voici d’or vêtu Me retournant vers la source Lui parlant Evo-
quant ces guerriers qui y trempaient leur bras afin que l’
épée de justice soit, pour eux, moins lourde à manier !
De
ma
maladie Je
ne
savais
rien.
Simplement l’
effroi
qu’aux
vagues
elle
inspirait.
A toutes !
A toutes !
Journal
froissé
contre
le hublot
de
la
cabine mauve
Des-
cendre
au
plus
profond
du
fleuve.
Où
la mer
se
noie !
Plonger !
Plonger !
Puis
retrouver
ce
monde
de si peu
de joie.
La Descente de l’Escaut
Editions Obsidiane, 1995
Du même auteur :
« la tête contre la vitre… » (26/02/2016)
« Ainsi nous portons tous… » (26/02/2017)
Cantos (07/09/2019)
« Et ne sachant pas vivre... » (16/09/2021)
« Malade à en vomir des pierres... » (16/09/2022)
C'était bon d'avoir trente ans... » (16/09/2023)
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