Jean-Paul de Dadelsen (1913 – 1957) : Oncle Jean
Oncle Jean
ONCLE JEAN
avait à maints égards
avec long corps longs os long nez long nom
de noblaillon frison de longue plaine en bordure de morne mer
une altogether rather endearing form - à maints égards – de khonnerie.
Mendel-Sohn, disait-il, Mendel-fils, Mendel-figlio,
parce que dans ex-régiment de 8è hussards il faut avouer
modestement badois, à Rastatt (d’où les socialistes obtinrent
indirectement son renvoi : faute commise à l’exercice en son
absence,
un homme tué par la faute d’un adjudant saxon
un mois de forteresse pour calmer la presse locale de gauche
sur instruction d’en haut, il donne sa démission)
il était
de bon ton de toujours rappeler que l’on sait qui est qui ;
Or oncle Jean adorait Mendelssohn (Bartholdy) tendrement et plus tendrement
encore adorait, vénérait, aimait d’amour Heine (Henri)
- ô Allemagne
te trouvera-tu jamais ?
tout ensemble fille d’auberge, fille à soldats, truie publique, ange
insolite,
Mais qu’ont-ils fait ces ambassadeurs à la messe là-bas
pour prétendre juger ce long chemin, noir dans la boue, dans la
servitude (ô révolte noyée dans la boucherie,
Bataille de Weingarten, sur les ordres de
Hochwohlgeboren le comte Truchiess von Waldburg
catholique incidemment, vingt mille paysans ont les yeux crevés ;
le libéral héritier dudit comte est un fort bon
ami de chasse d’excellent général catholique et sans nul doute
breton par quelque coin de Monsabert) si vous croyez
qu’on rigole tous les jours avec des
pommes de terre arrosées d’alcool de bois comme chez
les sauvages d’au-delà de l’Elbe ou même dans ces
vieux pays romains avec un peu de piquette sure
et le tonneau commencé de choux.
ONCLE JEAN
en 1925 encore seul dans son garni de Bâle, ville ancienne,
dont par sa mère il était natif et citoyen, dans son garni
où grand-père lui envoyait au début du mois 200 DM pris sur sa pension
d’après l’inflation d’ancien professeur de mythologie bismarckienne
oncle Jean sur des cartes au 50.000è , il refaisait les batailles manquées,
il tournait plus à droite, appuyant vers l’Ouest, il arrivait
sur les hauteurs d’Argenteuil et entrant à Paris sans bousculer les
marchandes de quatre-saisons il entrait ainsi qu’un Rothschild de Francfort,
droitement chez Larue, Voisin ou débonnairement Maxim’s,
entrait dans Paris portant en poche une édition de Heine
Prosa Werke politische Schriften ô Allemagne qui aurait peut-être
pu devenir bancaire, marchande maritime, amie des arts, exotique,
mère de philosophie subtilement nourrie d’Asie et de néant
ô confitures du néant délicieusement irritantes comme une
septième diminuée agrémentée d’une courtoise dissonance postschumanesque
et dans Paris il disait au chef d’Etat-major il faut
maintenant ou jamais apprendre à vivre nous sommes les Romains à Athènes
laissons les londoniens Carthaginois certes de naître anglais
eût été élégant et nous eussions valablement aussi eu Mendel-sohn
mais les Anglais ne vivent que pour eux, sachons partager, sachons
après trois jours seulement d’ivrognerie surveillée sachons
pour tout viol pour tout vol pour toute exaction faire fusiller un
peloton de soldats de préférence choisis de Prusse Orientale
ou même ce serait parfaitement défendable de Bavière ou de la
saucissonnante Saxe ô pays éloignés de la mer et du soleil il faut
immédiatement pension impériale à ces cent écrivains dont voici
une liste dressée d’après implicites indications de Heine (Henri)
mais the trouble really is que nous ne
pouvons pas réussir, réussirons jamais, devons pas réussir
et que notre vocation est comme des Russes d’Occident
d’échouer et de souffrir
inutilement je le veux bien jusques à quand Seigneur, mot de pure
rhétorique d’ailleurs puisque le Professeur Haeckel prouve conclusively
que Dieu ne saurait exister encore moins un salut individuel que
voulez-vous quand il y a ces nébuleuses comme Andromède qui nous
éclairent d’une lumière d’avant même Confucius ou l’Honorable Chemin
de Celui qui sut que toujours nous parlons trop. O France
qui fut par la voie des généraux huguenots l’instrument de
notre malheur et notre enfoncement jusques à quand dans la saucisse
prussienne arrosée d’alcool de bois, ô France si douce
sous Henri de Navarre, Henri III qui fut roi de Pologne le seul
tolérable le seul respirable le catholicisme dès qu’on traverse le Rhin
cesse une fois pour toute d’être vivable et devient
une fois pour toutes idolâtrie de valetaille menteuse et de
superstitieuse racaille. Il y a ainsi des paysages où
ainsi que certaines architectures certains systèmes de pensée sont impossibles
et d’ailleurs, ne serais-je petit seigneur sans fortune sans honneurs
petit
et pourtant et justement fidèle, je serais Alsacien et Bâlois
comme mon neveu Jean-François le justement nommé et mon neveu
Rainer descendant éloigné de l’oncle de Napoléon fils de
Madame née Fesch
et le dimanche
oncle Jean d’abord allait à Bâle chaque dimanche que fait M. Haeckel
déjeuner chez sa cousine (il faut dire par alliance) déjeuner de spaetzle
- littéralement petits moineaux, petits oiseaux, nom donné notamment
à des sortes de gnocchis style alsacien alémanique et souabe –
puis dans le grand lit ex-nuptial de la cousine édredonné et vastement
carré de noyer alémanique il trempait son spaetzle dans le
beurre bâlois de la cousine nous savons aussi à Mulhouse et Guebwiller
parler en mots à double sens. Guebwiller logiquement eût dû en oncle jean
produire un poète d’une certaine élévation de pensée, d’une élévation certaine
et non dénué de quelque félicité dans l’expression. Le 14 Juillet
wilhelminienne et progressive la Reichsbahn les chs de fer d’A.L. (Alsace –
Lorraine, comme s’il y avait un rapport quelconque entre ces 2 régions
autre que d’être trimbalées de traité inutile en traité excessif)
la Reichsbahn faisait néanmoins et justement dans son libéralisme occasionnel,
ces années-là, former des trains spéciaux pour permettre à papa Glintz, mon
autre Grand Dab,
d’aller à Belfort crier
Vive la France vive l’armée tant que vous voudrez mon chénéral
ensuite du restaurant fin aller prendre fine et cigare au
bobinard des hauts fonctionnaires préfectoraux et des
officiers supérieurs et de cavalerie les jours où leurs belles amies
ne sont pas accessibles à la charge de Reichshoffen – mauvais départ,
bataille gagnée sans élégance aucune par les bouchers et charcutiers bavarois
tous catholiques comme des nains sortis de chaumières celtiques –
nous autres en Alsace on est celtique il n’y a pas à dire on est
celtico-germano-romano – (et donc aussi égypto-syriaco-illyrio-ibério-
dalmato-partho-soudano-palestinien) – français comme Minuit chrétien et
au-dessous d’un certain niveau de bourgeoisie catholiques comme un seul
homme –
sur quoi papa Glintz retournait à Colmar, ville ancienne, petite, honnête,
d’avant les grandes folies (dont hélas Heine Henri rêva et dont nous
sommes sans le vouloir sans le savoir comme le dormeur ne sachant de quel
côté se tourner dont nous sommes à la fois amoureux et amèrement blessés)
Colmar, dont le père Schweitzer lui-même, Albert, membre de
l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, sur sa candidature expresse,
Docteur en Phil en Mus en Méd en Théol d’Universités diverses ; à Colmar
il n’y a pas d’Université mais une napoléonique (Nap.III) préfecture
Colmar que même Schweitzer Albert a depuis l’enfance continué de considérer
comme une manière de premier et fondamental chef-lieu – et quand Maman
la première fois vint à Londres et que dans la vieille Ford je l’ai fait
passer devant Buck. Pal. auprès de Victoria Station : « Oh tu vois Eric,
dit-elle à mon père comme toujours économe d’émotions et de mots,
« Oh regarde Eric c’est un peu dans le même genre de la préfecture à Colmar ! »
- Oncle Jean auquel Maman reprocha sauvagement de m’avoir l’espace d’entre
ma 16è et 26è année, rien qu’en me parlant
de la nébuleuse d’Andromède éloigné de Dieu et de la foi protestante et
réformée qui convient à partir d’une certaine ancienneté de bourgeoisie,
ONCLE JEAN,
jadis convoqué éperonné à se présenter pour présenter ses
respects et devoirs à Son Altesse Sérénissime le
Grand-Duc de Hesse Darmstadt – celui dont l’autre grand-père fut
brièvement précepteur et sa mère était Alice fille de Victoria et sa
sœur avec Nicolas II son triste époux fut charcutée dans une cave
il est vrai à balles seulement et non pas comme Marie-Antoinette,
oncle Jean en se présentant emportait une édition de poche de
Heine, politische Schriften. Dans les maisons basses du matin au soir
sur le métier mal éclairé, poussiéreux, avançant à coups chaque jour de
chaussons de lisière et de savates comme des gens en prison
les tisserands, dit Maman, ce sont des socialistes, ce sont des gens
qui veulent prendre l’argent des autres, tout l’argent jusqu’à un
certain niveau de bourgeoisie même plus bas que le catholicisme,
l’armée parce qu’ils sont socialistes ceux qui sont pour la France et
l’armée c’est à partir d’un certain niveau de bourgeoisie, à peu près
le niveau qui coïncide avec la limite supérieure du catholicisme.
Grand-Papa Glintz était un bon Papa, je dois dire un BON PAPA,
très bon, il aimait rire, il était petit, les ongles toujours
très bien soignés et bien qu’ayant commencé comme boulanger et
même pas
à son compte, changeait de chemise 2 fois par jour, dans l’armoire les
piles de chemises à plastron infaillible un jour emmenant au magasin
ses 4 filles Louise Jeanne Fanny Lucie à chacune il acheta une ombrelle
4 ombrelles un déjeuner de soleil inutile et donc
luxurieux et pour tout dire blasphématoire selon grand-mère
née Haeffele – très bonne Grand-mère mais – comme dit Mama, « un autre
« genre ;
née anabaptiste d’un père frère morave ou mennonite.
Oncle Jean n’a pas
gagné sa guerre gagné sa vie gagné son amour gagné la
gloire de Heine Henri, lui qui tout jeune
écrivait, composait, un vrai
petit prodige. Oncle
Jean n’a pas
duré. Finis
Poloniae finis
Johannis
finis.
(1954-5)
Jonas suivi de Les Ponts de Budapest et autres poèmes
Editions Gallimard (Poésie), 2005
Du même auteur :
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