Antonio Ramos Rosa (1924 -2013) : Un homme obscur dans une ville lumineuse / Um homem obscuro numa cidade luminosa
Un homme obscur dans une ville lumineuse
Cet homme, qui vient de sortir d’une porte de pierre est un animal au cœur
blessé, aux yeux embués, à la démarche vacillante. La lumière est pour lui trop
intense parce qu’il la voit à travers les fleuves souterrains du sommeil. Les regards
de la foule le maintiennent dans une terreur nocturne et ses épaules se soulèvent
dans la prison de leurs muscles. Escarpés et sinueux, tous les chemins descendent
vers le fleuve. Là, près de deux colonnes, l’homme regarde l’estuaire dans son
harmonieuse majesté, mais ce qu’il voit n’est plus qu’une stridente fulguration
qui obscurcit plus encore la nébuleuse de son angoisse. L’homme chemine à
présent environné d’une lumière précieuse, très blanche, mais dans la brume de
ses yeux ne volent ni mouettes ni colombes. Ses pieds sont en sueur, et son cœur
un petit volcan rempli de peur, d’éclats de verre et d’ombres tremblantes. Comment
pourrait-il entendre la rumeur de l’été ou respirer le parfum du printemps ? Sa marche
est une interminable fuite et sa quête une angoisse qui tournoie parmi des volutes de
fumée et d’arides vertiges. Rêve-t-il en déambulant dans les ruelles et les escaliers ?
Respire-t-il un autre monde qui aurait connu la rédemption ? Non, car en lui tout
vacille et se perd dans un abîme de grisaille où il n’y a ni prodiges ni présences
lumineuses. A présent ses pas précipités le dirigent vers une chambre où la
vertigineuse lenteur des murs l’étouffera dans un cercle de solitude et de peur.
Traduit du portugais par Michel Chandeigne
in « Les poètes de la Méditerranée. Anthologie »
Editions Gallimard (Poésie), 2010
Du même auteur :
La femme dilacérée / A mulher dilacerada (02/09/2014)
Une voix / Uma voz (02/09/2015)
Quand la lumière s’efface… / Quando a luz se apaga (2/09/2016)
La maison / A casa (19/02/2019)
« Je ne peux remettre l’amour... » / « Não posso adiar o amor... » (19/02/2020)
Un astre (19/02/2021)
Le bœuf de la patience /O boi da patiência (19/02/2022)
Voyage à travers une nébuleuse / Viagem através de uma nebulosa (19/02/2023)
Le fonctionnaire fatigué / O funcionário cansado (19/02/2024)
Um homem obscuro numa cidade luminosa
Esse homem que acaba de sair duma porta de pedra é um animal com o coração
ferido, de olhos enevoados e andar vacilante. A luz é-lhe demasiado intensa porque
ele vê-a através dos rios subterrâneos do sono. Os olhares da multidão mantêm-no
num terror nocturno e os ombros elevam-se na prisão dos músculos. Escarpados e
sinuosos, todos os caminhos descem para o rio. Ai, junto de duas colunas, o homem
olha o estuário na sua harmoniosa majestade, mas o que vê é apenas uma estridente
fulguração que obscurece ainda mais a nebulosa da sua angústia. O homem caminha
agora envolvido por uma luz preciosa, branquissima, mas na bruma dos seus olhos
não voam gaivotas nem pombas. Os pés transpiram e o coração é um pequeno vulção
cheio de medo, cintilaçoes de vidro e sombras indecisas. Como poderia ouvir o
rumor do verão ou respirar o perfume da primavera? O seu andar é uma interminável
fuga e a sua busca uma angústia que gira por entre espirais de fumo eáridas vertigens.
Será que sonha enquanto deambula pelas ruas e escadas ? Respirará outro mundo que
conheça a redenção ? Não, porque nele tudo vacila e se perde num abismo cinzento onde
não há prodigios nem presenças luminosas. Agora os seus passos precipitados dirigem-no
para um quarto onde a vertigonosa lentidão das paredes o sufocará num circulo de solidão
e medo.
Poème précédent en portugais :
Fernando Pessoa : Le Gardeur de troupeaux / O Guardador de rebanhos (I- X) (20/06/2017)
Poème suivant en portugais :
Fernando Pessoa : « Lorsque viendra le printemps... / « Quando vier a Primavera... » (20/06/2018)