Abdellatif Laâbi (1942 -) : « Tu te souviens… »
Tu te souviens
de ce pigeon qui avait pris l’habitude
de descendre dans notre cour
et dont je t’ai décrit la démarche
le plumage bariolé, flamboyant des ailes
de la gorge
l’œil rond
filant comme du vif argent
me rappelant cette méfiance immémoriale
qu’il y a entre nous
et les bêtes
……………………………………………
Ou bien encore ces moments
où je guettais le vol des hirondelles
arbalètes gracieuse et acrobates
qui rejoignaient avec assurance leurs nids
et piaillaient nerveusement
comme pour demander
de dégager le passage
Parfois aussi
le ciel
cet océan du prisonnier
où les nuages sont tour à tour
lourdes caravelles fuyant des bateaux-corsaires
dragons-marins de légendes
ouvrant toutes grandes leurs gueules
hommes nus et musclés
de peintures italiennes
voguant là-haut
ailés comme dans les originaux craquelés des toiles
…………………………………………………
Tu vois donc
ce pigeon ces fleurs
cette hirondelle ces nuages
c’était le creuset où le poème
tentait à travers mille entraves ou interdits
de rejoindre
et propulser la vie
Sous le bâillon, le poème
Editions de l’Harmattan,
Du même auteur :
« Emmurée… » (12/04/2015)
« Je m’en irai… » (12/04/2016)
Deux heures de train (12/04/2018)
J’aurai aimé t’emprunter tes yeux (12/04/2019)
« Ma femme aimée... » (12/04/2020)
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Ruses de vivant (18/09/2024)