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Le bar à poèmes
19 décembre 2015

Federico Garcia Lorca (1898 – 1936) : Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías / Llanto por Ignacio Sánchez Mejías

federicogarcialorca[1]

 

 

Chant funèbre pour Ignacio Sánchez Mejías

 

À ma chère amie Encarnación López Júlvez

 

I. La prise et la mort

 

     A cinq heures du soir

C’était juste cinq heures du soir.

Un enfant porta le drap blanc

     à cinq heures du soir.

Un panier de chaux déjà préparé

     à cinq heures du soir.

Tout le reste était mort et rien que mort      

     à cinq heures du soir

 

Le vent fit voler les flocons d’ouate

     à cinq heures du soir.

l'oxyde sema cristal et nickel

     à cinq heures du soir.

Une cuisse avec une corne désolée

     à cinq heures du soir.

Les cloches d'arsenic et de fumée

     à cinq heures du soir

Commencèrent leurs sons de faux-bourdon

     à cinq heures du soir

 

 

Aux coins des rues, des groupes de silence

     à cinq heures du soir.

Et le taureau, seul coeur debout!

     à cinq heures du soir.

Voici que la sueur de neige arrive

     à cinq heures du soir,

quand l'arène se couvrit d'iode

     à cinq heures du soir.

la mort plaça des oeufs dans la blessure

     à cinq heures du soir.

     A cinq heures du soir.

C’était juste cinq heures du soir.

 

Un cercueil à roues est son lit

     à cinq heures du soir.

Des flûtes et des os bruissent à son oreille

     à cinq heures du soir.

Le taureau déjà mugit vers son front

     à cinq heures du soir

Au loin déjà vient la gangrène

     à cinq heures du soir.

Trompe de lis dans l'aîne verte

     à cinq heures du soir.

Comme des soleils brûlaient les blessures

     à cinq heures du soir,

La foule brisait les fenêtres

     à cinq heures du soir.

     A cinq heures du soir.

 

Ah ! quelles terribles cinq heures du soir!

C’était cinq heures à toutes les horloges.

C’était cinq heures dans l'ombre du soir!

 

II. Le sang répandu

 

Le sang, je ne veux pas le voir!

 

Dis à la lune qu'elle vienne,

Que je ne veux pas voir le sang

d'Ignacio couler dans l’arène

Le sang, je ne veux pas le voir!

 

La lune luit de part en part.

Un cheval de nuages calmes

et la place grise du songe

avec des saules aux barrières.

 

Le sang, je ne veux pas le voir!

Que mon souvenir se consume.

Allez avertir les jasmins

dont la blancheur est minuscule.

 

Le sang, je ne veux pas le voir!

 

La vache de l'ancien monde

Léchait de sa langue triste  

une gueule pleine de sang

répandu parmi l'arène,

et les taureaux de Guisando,

moitié de mort et de pierre,

mugirent comme deux siècles

fatigués  de fouler la terre

 

Non.

Le sang, je ne veux pas le voir!

 

Par les degrés Ignacio monte,

toute sa mort est sur son dos,

Il est en quête de l’aurore

mais l’aurore n’était pas là.

Il cherche son profil précis

mais le songe le fait errer.

Il cherchait son corps sans défaut

et rencontra  son sang ouvert.

Ne me dites pas de le voir !

Je ne veux pas sentir le jet

chaque fois avec moins de force,

ce jet  qui de sang qui illumine

les échafauds et qui tombe

sur le velours et le cuir

des multitudes altérées.

Qui me crie que j’apparaisse?

Ne me dites pas de le voir!

Ses yeux ne se fermèrent pas

quand il vit s’approcher les cornes

cependant les mères terribles

levèrent aussitôt la tête.

A travers les ganaderias

Ce fut un chant de voix secrètes :

des bergers  de nuage pâle

conduisaient des taureaux célestes .

Il n'y eut prince dans Séville

que l’on put lui comparer,

ni épée comme son épée,

ni coeur qui fût aussi vrai.

 

Comme un fleuve de lions

sa force était merveilleuse,

et comme un torse de marbre

sa prudence dessinée.

Un air de Rome andalouse

auréolait sa figure

où son rire était un nard

de sel et d'intelligence

Quel toréador dans l'arène!

Quel montagnard dans la montagne!

Qu’il était doux avec les blés

et dur avec les éperons!

Et tendre avec la rosée!

éblouissant dans les foires,

redoutable  avec les ultimes

banderilles des ténèbre.

Mais déjà,  pour jamais, il dort .

Déjà la mousse et les herbes

ouvrent avec leurs doigts sûrs

la fleur de sa tête de mort.

Déjà  son sang vient chanter

à travers étangs et prairies,

glisse sur des cornes transies,

vacille, sans âme, en la nue,

rencontre  mille pieds fendus,

 comme une large, obscure et triste langue,

pour former une flaque d'agonie

contre le Guadalquivir des étoiles.

O blancs murs de l’Espagne!

et taureau noir de peine!

O le sang dur d'Ignacio

Et le rossignol de ses veines!

 

Non.

Le sang, je ne veux pas le voir!

Qu’il n’y ait  pas de calice qui le contienne,

ni d'hirondelle qui le boive,

ni givre de lumière qui le refroidisse,

ni chant ni déluge de lis.

Il n'est pas de cristal qui le couvre d'argent.

 

Non,

Le sang, je ne veux pas le voir!

 

 

III. Corps présent

 

La pierre est un front dur où les songes gémissent

sans une eau incurvée et sans cyprès glacés.

La pierre est une épaule et sur elle, le temps

met ses arbres de pleurs, ses rubans, ses planètes.

 

J'ai vu de grises pluies courir après les vagues

Qui vers elles levaient leurs tendres bras criblés,

pour n’être pas chassées par la pierre étendue

qui disperse leurs membres et ne boit pas leur sang.

 

Car la pierre reçoit les graines, les nuages,

squelettes d'alouettes et loups de la pénombre,

mais ne donne aucun son de cristal ou de feu,

si ce n’est places, rien que des places sans murs.

 

Sur la pierre est déjà Ignacio, le bien-né,

C’est fini. Qu'y a-t-il? Contemplez sa figure :

la mort a recouvert son corps de soufres pâles,

et sa tête est changée en minotaure obscur.

 

Tout est fini. La pluie pénètre par sa bouche,

l'air, comme fou, déserte sa poitrine creuse.

L'Amour, tout ruisselant de ses larmes de neige

se réchauffe au sommet des forêts de taureaux.

 

Un silence chargé de puanteur repose.

Que disent-ils ? Près d’eux un corps présent s'estompe,

avec la forme claire qu’ont les rossignols,

et sous nos yeux elle s’emplit de trous sans fond.

 

Qui froisse le suaire? -  Ce qu'il dit n’est pas vrai :

personne ici ne chante et pleure dans un coin,

ne pique l’éperons, ni effraie le serpent.

Ici je ne veux plus que des yeux arrondis,

pour regarder un corps sans possible repos.

 

Je voudrais voir ici les hommes à la vois dure,

qui domptent les chevaux et dominent les fleuves,

ceux dont résonne le squelette, ceux qui chantent,

la bouche pleine de soleil et de silex.

 

C’est ici que je veux les voir, devant la pierre,

devant ce corps dont les rênes se sont brisées,

je veux apprendre d’eux où se trouve  l'issue,

pour ce grand capitaine attaché par la mort.

 

Je veux apprendre d’eux des larmes, comme un fleuve,

qui a de douces nues et de profondes rives

pour emporter le corps d'Ignacio et  qu'il se perde

sans écouter la double haleine des taureaux.

 

Qu'il se perde en la place arrondie de la lune

qui feint, enfant dolente, une bête immobile,

qu'il se perde en la nuit sans hymne des poissons

et dans les buissons blancs de la fumée glacée.

 

Ne lui mettez sur la figure aucun mouchoir :  

je veux qu'il s'accoutume  à la mort qui l’habite.

Ignacio, ne sens plus le chaud mugissement !

Dors et vole et repose !... la mer aussi se meurt.

 

 

IV. Ame absente

 

Le taureau ne te connait pas, ni le figuier,

ni les chevaux,  ni les fourmis de ta maison,

ni l'enfant, ni le soir ne te connaissent,

parce que tu es mort pour toujours.

 

Ne te connaissent ni les lombes de la pierre,

ni le satin noir où ton corps se défait

ni ne te connaît plus ton souvenir muet

parce que tu es mort pour toujours.

 

Viendra l'automne avec ses buccins,

ses grappes de nuages et les monts assemblés,

mais nul ne voudra voir tes yeux,

parce que tu es mort pour toujours.

 

Parce que tu es mort pour toujours,

comme tous les morts de la Terre,

comme tous les morts qu'on oublie

en un monceau de chiens éteints.

 

Je chante, pour plus tard, ton profil et ta grâce,

la célèbre maturité de ton savoir,

ton désir de la  mort et le goût de ta bouche

et la tristesse au fond de ta vaillante joie.

 

Nul ne te connaît plus, cependant je te chante,

il tardera beaucoup à naître, s'il peut naître,

un Andalou si clair, si riche d'aventure,

je chante sa noblesse avec des mots qui pleurent,

et songe au triste vent parmi les oliviers.

 

Traduit de l’espagnol par Rolland-Simon

Charlot éditeur (Fontaine), Alger, 1945

 

I.

LA BLESSURE ET LA MORT

A cinq heures de l’après-midi.

Il était juste cinq heures de l’après-midi.

Un enfant apporta le drap blanc

A cinq heures de l’après-midi.

Une couffe de chaux toute prête

A cinq heures de l’après-midi.

Le reste était mort et rien que mort

A cinq heures de l’après-midi.

 

Le vent emporta les cotons

A cinq heures de l’après-midi.

Et l’oxyde sema cristal et nickel

A cinq heures de l’après-midi.

Luttent la colombe et le léopard

A cinq heures de l’après-midi.

Une cuisse avec une corne désolée

A cinq heures de l’après-midi.

Le bourdon se mit à sonner

A cinq heures de l’après-midi.

Cloches d’arsenic et fumée

A cinq heures de l’après-midi.

Au coin des rues, groupes de silence

A cinq heures de l’après-midi.

Et le taureau avec son cœur debout !

A cinq heures de l’après-midi

Quand vint la sueur de neige

A cinq heures de l’après-midi.

Quand la plaza se couvrit d’iode

A cinq heures de l’après-midi.

La mort mit des oeufs dans la blessure

A cinq heures de l’après-midi.

A cinq heures de l’après-midi.

A cinq heures de l’après-midi.

 

Un cercueil sur roues sert de lit

A cinq heures de l’après-midi.

Ossements et flûtes sonnent à son oreille

A cinq heures de l’après-midi.

Déjà dans son front mugissait le taureau

A cinq heures de l’après-midi.

La chambre s’irisait d’agonie

A cinq heures de l’après-midi.

Au loin vient la gangrène

A cinq heures de l’après-midi.

Trompe d’iris dans l’aine verte

A cinq heures de l’après-midi

Les plaies brûlaient comme des soleils

A cinq heures de l’après-midi

Et la foule brisait les fenêtres

A cinq heures de l’après-midi

A cinq heures de l’après-midi.

Ah ! terribles cinq heures de l’après-midi !

Il était cinq heures à toutes les horloges !

Il était cinq heures d’ombre de l’après-midi !

 

II

LE SANG REPANDU

 

Je ne veux pas le voir !

 

Dis à la lune de venir.

Je ne veux pas voir le sang

D’Ignacio sur le sable.

 

Je ne veux pas le voir !

 

La lune grande ouverte.

Cheval de nuages calmes,

Et grise plazza du songe

Avec des saules aux barrières.

 

Je ne veux pas le voir !

Mon souvenir se brûle.

Prévenez les jasmins

A la blancheur petite !

 

Je ne veux pas le voir !

 

La vache du vieux monde

Passait sa triste langue

Sur un mufle de sang

Répandu sur le sable

Et les taureaux de Guisando

Quasi mort et quasi pierre,

Mugirent comme deux siècles

Las de fouler la terre.

Non.

Je ne veux pas le voir !

 

Par les degrés monte Ignacio

Portant sa mort dessus don dos.

Cherchait le lever du jour

Et le lever du jour n’était pas.

Cherche sa vraie silhouette,

Et le songe l’égare.

Cherchait son corps de beauté

Et trouva son sang ouvert.

Ne me dites pas de le voir !

Je ne veux pas sentir le jet

Qui perd peu à peu sa force ;

Ce jet qui vient illuminer

Les bas gradins et puis retombe

Sur le velours et sur le cuir

D’une foule altérée.

Qui donc me crie de me pencher !

Ne me dites pas de le voir !

 

Il ne ferma point les yeux

Quand il vit tout près les cornes,

Mais les mères terribles

Relevèrent la tête.

Et à travers les élevages

Monta un air de voix secrètes

Criant vers des taureaux célestes,

Gardiens d’une brume pâle.

Il n’y eut prince dans Séville

Que l’on puisse lui comparer,

Ni épée comme son épée,

Ni coeur si véritable.

Comme un fleuve de lions

Sa merveilleuse force,

Et comme un torse de marbre

Sa prudence dessinée.

Un

air de Rome andalouse

Lui nimbait d’or la tête,

Et son rire était nard

De sel et d’intelligence.

Grand torero dans la plaza !

Bon montagnard à la montagne !

Si doux avec les épis !

Si dur avec les éperons !

Si tendre avec la rosée !

Eblouissant à la feria !

Si terrible avec les dernières

Banderilles de ténèbres !

 

Mais voici qu’il dort sans fin.

Voici que les mousses et l’herbe

Ouvrent de leurs doigts sûrs

La fleur de son crâne.

Et son sang vient en chantant :

Chante par les maremmes et les prairies,

Glisse le long des cornes transies,

Vacille sans âme dans le brouillard,

Se heurte à mille pieds de taureaux

Comme une longue, sombre, triste langue,

Pour former une plaque d’agonie

Près du Guadalquivir aux étoiles.

Oh, mur blanc de l’Espagne !

Oh, noir taureau de douleur !

Oh, sang pur d’Ignacio !

Oh, rossignol de ses veines !

Non.

Je ne veux pas le voir !

Il n’est pas de calice qui le contienne,

Pas d’hirondelles qui le boivent,

Ni givre de lumière qui le refroidisse,

Ni chant ni déluge de lis,

Ni cristal qui le couvre d’argent.

Non.

Je ne veux pas le voir !

 

III

PRESENCE DU CORPS

La pierre est un front où gémissent les songes

Sans qu’ils aient une eau courbe ou des cyprès glacés.

La pierre est un dos fait pour porter le temps

Avec arbres de larmes et rubans et planètes.

 

J’ai vu de grises pluies courir devers les vagues,

En levant leurs tendres bras criblés,

Pour n’être prises en chasse par la pierre tendue

Qui dénoues ses membres sans imprégner le sang.

 

Parce que la pierre prend semences et nuages,

Squelettes d’alouettes avec loupes de pénombre ;

Mais ne donne ni son, ni cristal, ni feu :

Rien que plazas, plazas et plazas sans murailles.

 

Et voici sur la pierre Ignacio le bien né.

C’est fini ; qu’y a t-il ? Considérez sa personne :

La mort qui l’a couvert de pâles fleurs de soufre

Lui a donné la tête d’un sombre minotaure.

 

C’est fini. La pluie pénètre dans sa bouche.

L’air comme fou quitte sa poitrine creuse

Et l’Amour, imprégné par les larmes de neige,

Se chauffe sur la cime des ganaderias.

 

Que dit-on ? Un silence empuanti repose.

Nous sommes devant un corps gisant qui s’estompe,

Devant une forme claire qui eut ses rossignols

Et nous la voyons se cribler de trous sans fond.

 

Qui fait des rides au suaire ? Ce qu’il dit n’est pas vrai !

Personne ici ne chante, ou ne pleure dans le coin,

Ne pique des éperons, n’épouvante le serpent :

Ici je ne veux rien que la rondeur des yeux

Pour voir ce corps sans possible repos.

 

Je veux voir ici les hommes à la voix dure.

Les dompteurs de chevaux, qui maîtrisent les fleuves :

Les hommes dont les os craquent et qui chantent,

La bouche plaine de soleil et de silex.

 

Je veux les voir ici. Devant la pierre.

Devant ce corps aux rênes brisées.

Je veux qu’ils montrent où est l’issue

Pour ce capitaine attaché par la mort.

 

Je veux qu’ils me montrent un pleur pareil à un fleuve

Avec de douces brumes et des rives profondes,

Pour emporter le corps d’Ignacio, et qu’il se perde

Sans écouter le double souffle des taureaux.

 

Qu’il se perde dans la ronde plaza de la lune

De qui l’enfance est comme une dolente bête immobile ;

Qu’il se perde dans la nuit privée de chants des poissons

Et dans la broussaille blanche de la fumée congelée.

 

Je ne veux pas qu’on lui couvre le visage de mouchoirs

Afin qu’il s’habitue à cette mort qu’il porte.

Va-t’en, Ignacio : le chaud meuglement ne te soit pas sensible

Dors, vole, repose : la mer aussi se meurt !

 

IV

ABSENCE DE L’ÂME

Ni le taureau ni le figuier ne te connaissent,

Ni les chevaux ni les fourmis de ta maison.

L’enfant ne te connaît ni la soirée

Parce que tu es mort pour toujours.

 

Ne te connaît le dos de la pierre,

Ni le satin noir où tu te déchires.

Plus ne te connaît ton souvenir muet

Parce que tu es mort pour toujours.

 

Viendra l’automne avec les coques-fleurs,

Raisins de brume et montagnes en groupe,

Mais ne voudra personne regarder tes yeux

Parce que tu es mort pour toujours.

 

Parce que tu es mort pour toujours,

Comme tous les morts de la Terre,

Comme tous les morts qu’on oublie

Dans un amoncellement de chiens éteints.

 

Nul ne te connaît plus. Non. Mais je te chante.

Je chante pour plus tard ta silhouette et ta grâce.

L’insigne maturité de ta connaissance,

Ton appétit de mort et le goût de sa bouche.

La tristesse qu’éprouvera ta vaillante allégresse.

 

De longtemps ne naîtra, si toutefois il naît,

Un Andalou si clair, si riche d’aventures,

Je chante son élégance en des mots qui gémissent,

Et me rappelle une brise triste dans les oliviers.

 

Traduit de l’espagnol par Pierre Darmengeat

in, « Anthologie bilingue de la poésie espagnole »

Editions Gallimard (Pléiade), 1995

Du même auteur :

La guitare / La guittara (04/11/14)

Embuscade / Sorpresa (19/12/2016)

Chanson du cavalier /Canción de Jinete (19/12/2017)

Village /Pueblo (19/12/2018)

« Gacela » de la mort obscure / Gacela de la muerte obscura (19/12/2019)

L’infidèle / La casada infiel (19/12/2020) 

La ballade de l’eau de mer / La balada del agua del mar (19/12/2021)

Evocation / Evocación (19/12/2022)

Carrefour / Encrucijada 19/12/2023)

 

 

Llanto por Ignacio Sánchez Mejías

mi querida amiga Encarnación López Júlvez

 

I. La cogida y la muerte

 

     A las cinco de la tarde. 

Eran las cinco en punto de la tarde. 

Un niño trajo la blanca sábana

     a las cinco de la tarde. 

Una espuerta de cal ya prevenida

     a las cinco de la tarde. 

Lo demás era muerte y sólo muerte

      a las cinco de la tarde.

 

El viento se llevó los algodones

     a las cinco de la tarde. 

Y el óxido sembró cristal y níquel

     a las cinco de la tarde. 

Ya luchan la paloma y el leopardo

     a las cinco de la tarde. 

Y un muslo con un asta desolada

     a las cinco de la tarde. 

Comenzaron los sones del bordón

     a las cinco de la tarde. 

Las campanas de arsénico y el humo

     a las cinco de la tarde.

 

En las esquinas grupos de silencio

     a las cinco de la tarde. 

¡Y el toro, solo corazón arriba!

     a las cinco de la tarde. 

Cuando el sudor de nieve fue llegando

     a las cinco de la tarde, 

cuando la plaza se cubrió de yodo

     a las cinco de la tarde, 

la muerte puso huevos en la herida

     a las cinco de la tarde. 

     A las cinco de la tarde. 

A las cinco en punto de la tarde.

 

Un ataúd con ruedas es la cama

     a las cinco de la tarde. 

Huesos y flautas suenan en su oído

     a las cinco de la tarde. 

El toro ya mugía por su frente

     a las cinco de la tarde. 

El cuarto se irisaba de agonía

    a las cinco de la tarde. 

A lo lejos ya viene la gangrena

    a las cinco de la tarde.

Trompa de lirio por las verdes ingles

     a las cinco de la tarde. 

Las heridas quemaban como soles

     a las cinco de la tarde, 

y el gentío rompía las ventanas

     a las cinco de la tarde. 

     A las cinco de la tarde.

 

 

¡Ay qué terribles cinco de la tarde!

¡Eran las cinco en todos los relojes!

¡Eran las cinco en sombra de la tarde! 

 

II. La sangre derramada

 

¡Que no quiero verla! 

 

Dile a la luna que venga,

que no quiero ver la sangre

de Ignacio sobre la arena.

¡Que no quiero verla!

 

La luna de par en par,

caballo de nubes quietas,

y la plaza gris del sueño

con sauces en las barreras

 

¡Que no quiero verla! 

Que mi recuerdo se quema.

¡Avisad a los jazmines

con su blancura pequeña!

 

¡Que no quiero verla!

 

La vaca del viejo mundo

pasaba su triste lengua

sobre un hocico de sangres

derramadas en la arena,

y los toros de Guisando,

casi muerte y casi piedra,

mugieron como dos siglos

hartos de pisar la tierra.

 

No. 

¡Que no quiero verla!

 

Por las gradas sube Ignacio

con toda su muerte a cuestas.

Buscaba el amanecer,

y el amanecer no era.

Busca su perfil seguro,

y el sueño lo desorienta.

Buscaba su hermoso cuerpo

y encontró su sangre abierta.

¡No me digáis que la vea!

No quiero sentir el chorro

cada vez con menos fuerza;

ese chorro que ilumina

los tendidos y se vuelca

sobre la pana y el cuero

de muchedumbre sedienta.

¡Quién me grita que me asome!

¡No me digáis que la vea!

No se cerraron sus ojos

cuando vio los cuernos cerca,

pero las madres terribles

levantaron la cabeza.

Y a través de las ganaderías,

hubo un aire de voces secretas

que gritaban a toros celestes,

mayorales de pálida niebla.

No hubo príncipe en Sevilla

que comparársele pueda,

ni espada como su espada,

ni corazón tan de veras.

 

 

Como un río de leones

su maravillosa fuerza,

y como un torso de mármol

su dibujada prudencia.

Aire de Roma andaluza

le doraba la cabeza

donde su risa era un nardo

de sal y de inteligencia.

¡Qué gran torero en la plaza!

¡Qué gran serrano en la sierra!

¡Qué blando con las espigas!

¡Qué duro con las espuelas!

¡Qué tierno con el rocío!

¡Qué deslumbrante en la feria!

¡Qué tremendo con las últimas

banderillas de tiniebla!

Pero ya duerme sin fin.

Ya los musgos y la hierba

abren con dedos seguros

la flor de su calavera.

Y su sangre ya viene cantando:

cantando por marismas y praderas,

resbalando por cuernos ateridos

vacilando sin alma por la niebla,

tropezando con miles de pezuñas

como una larga, oscura, triste lengua,

para formar un charco de agonía

junto al Guadalquivir de las estrellas.

¡Oh blanco muro de España!

¡Oh negro toro de pena!

¡Oh sangre dura de Ignacio!

¡Oh ruiseñor de sus venas!

 

 

No. 

¡Que no quiero verla! 

Que no hay cáliz que la contenga,

que no hay golondrinas que se la beban,

no hay escarcha de luz que la enfríe,

no hay canto ni diluvio de azucenas,

no hay cristal que la cubra de plata.

 

 

No. 

¡Yo no quiero verla!

 

III. Cuerpo presente

 

La piedra es una frente donde los sueños gimen

sin tener agua curva ni cipreses helados.

La piedra es una espalda para llevar al tiempo

con árboles de lágrimas y cintas y planetas.

 

Yo he visto lluvias grises correr hacia las olas

levantando sus tiernos brazos acribillados,

para no ser cazadas por la piedra tendida

que desata sus miembros sin empapar la sangre.

 

Porque la piedra coge simientes y nublados,

esqueletos de alondras y lobos de penumbra;

pero no da sonidos, ni cristales, ni fuego,

sino plazas y plazas y otras plazas sin muros.

 

Ya está sobre la piedra Ignacio el bien nacido.

Ya se acabó; ¿qué pasa? Contemplad su figura:

la muerte le ha cubierto de pálidos azufres

y le ha puesto cabeza de oscuro minotauro.

 

Ya se acabó. La lluvia penetra por su boca.

El aire como loco deja su pecho hundido,

y el Amor, empapado con lágrimas de nieve

se calienta en la cumbre de las ganaderías.

 

¿Qué dicen? Un silencio con hedores reposa.

Estamos con un cuerpo presente que se esfuma,

con una forma clara que tuvo ruiseñores

y la vemos llenarse de agujeros sin fondo.

 

¿Quién arruga el sudario? ¡No es verdad lo que dice!

Aquí no canta nadie, ni llora en el rincón,

ni pica las espuelas, ni espanta la serpiente:

aquí no quiero más que los ojos redondos

para ver ese cuerpo sin posible descanso.

 

Yo quiero ver aquí los hombres de voz dura.

Los que doman caballos y dominan los ríos;

los hombres que les suena el esqueleto y cantan

con una boca llena de sol y pedernales.

 

Aquí quiero yo verlos. Delante de la piedra.

Delante de este cuerpo con las riendas quebradas.

Yo quiero que me enseñen dónde está la salida

para este capitán atado por la muerte.

 

Yo quiero que me enseñen un llanto como un río

que tenga dulces nieblas y profundas orillas,

para llevar el cuerpo de Ignacio y que se pierda

sin escuchar el doble resuello de los toros.

 

Que se pierda en la plaza redonda de la luna

que finge cuando niña doliente res inmóvil;

que se pierda en la noche sin canto de los peces

y en la maleza blanca del humo congelado.

 

No quiero que le tapen la cara con pañuelos

para que se acostumbre con la muerte que lleva.

Vete, Ignacio: No sientas el caliente bramido.

Duerme, vuela, reposa ¡También se muere el mar!

 

IV. Alma Ausente

 

No te conoce el toro ni la higuera,

ni caballos ni hormigas de tu casa.

No te conoce el niño ni la tarde

porque te has muerto para siempre.

 

No te conoce el lomo de la piedra,

ni el raso negro donde te destrozas.

No te conoce tu recuerdo mudo

porque te has muerto para siempre.

 

El otoño vendrá con caracolas,

uva de niebla y monjes agrupados,

pero nadie querrá mirar tus ojos

porque te has muerto para siempre.

 

Porque te has muerto para siempre,

como todos los muertos de la Tierra,

como todos los muertos que se olvidan

en un montón de perros apagados.

 

No te conoce nadie. No. Pero yo te canto.

Yo canto para luego tu perfil y tu gracia.

La madurez insigne de tu conocimiento.

Tu apetencia de muerte y el gusto de tu boca.

La tristeza que tuvo tu valiente alegría.

Tardará mucho tiempo en nacer, si es que nace,

un andaluz tan claro, tan rico de aventura.

Yo canto su elegancia con palabras que gimen

y recuerdo una brisa triste por los olivos.

 

 

1935

Poème précédent en espagnol :

Antonio Machado :Il y a eu crime dans Grenade / El crimen fue en Granada (08/12/2015)

Poème suivant en espagnol :

Jean de la Croix /Juan de la Cruz : « J’entrai, mais point ne sus où j’entrais… » / « Entréme donde no

supe… » (28/01/2016)

 

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