Jaroslav Seifert (1901 – 1986) : Le tableau frais
Le tableau frais
Ces beaux jours,
Quand la ville ressemble au dé, à l’éventail et à la chanson
d’oiseau,
Ou alors à la coquille au bord de la mer,
- Au revoir, au revoir belles jeunes filles
Que nous avons rencontré aujourd’hui
Et que nous ne reverrons plus dans la vie –
Ces beaux dimanches,
Quand la ville ressemble au ballon, à la carte à jouer et à
l’ocarina.
Ou alors à la cloche en mouvement,
- Dans une rue ensoleillée
S’embrassaient les ombres des passants
Et les gens se quittaient sans se reconnaître.-
Ces beaux soirs,
Quand la ville ressemble à l’horloge, au baiser et à l’étoile,
Ou alors à la fleur du soleil qui tourne
- Avec le premier accord
Les danseurs battaient des ailes avec les bras des
jeunes filles
Comme les papillons de nuit à l’aube.-
Ces belles nuits,
Quand la ville ressemble à la rose, au jeu d’échec et au violon,
Ou alors à la jeune fille qui pleure,
- Nous avons joué aux dominos,
Dominos aux points noirs avec les jeunes filles
maigres des bars
En regardant les genoux
- Qui étaient osseux
Comme les deux crânes avec la couronne de soie
des jarretières
Dans le royaume désespéré de l’amour.
Traduit du tchèque par Joseph Sima
In Revue « Le grand jeu, N°I, Eté 1928 »
Chez Roger Vailland, Paris, 1928