Jørgen Gustava Brandt (1929 – 2006) : « Moi, je suis Chérubin… »
(…)
Moi, je suis Chérubin, allongé sur la grève
sous un saule qui danse comme un derviche…
Et si j’avais une calebasse géante, je partirais
avec elle sur l’océan…
Mais je suis faible et silencieux,
rien ne m’épuise, rien ne m’efface
dans le poids et la moiteur de l’odeur de mort
des profondeurs, pourriture,
défloration, sang, maternité,
arôme de délices…
Sans honte,
nu au bord de la mer…
Mer , tout à l’heure, j’étais mortel…
(Au loin, derrière moi,
Le tempo correct
étouffé, déchiré,
des tango er flow-fox
comme soutras et notes
envolés avec le vent…)
Noces, ô nuit, mon épousée
me voici roi,
et voir – le saule, la lune, la mer,
je ne suis maintenant que deux yeux, un regard…
Orages, fracas,
je suis l’oreille,
je suis l’amant
celui qui écoute et qui voit.
En moi, les images restent fraîches et dansent et mes yeux
[lisent la joie…
en moi, se répètent la chorégraphie du saule et la partition
[de la mer),
et la multiplicité belle et furieuse
aux éclairs noirs, chauffée à blanc,
de plans et de vagues, de feuilles et de branches…
Vers moi, la nuit dirige son regard et se reconnaît…
En moi, les branches du saule dansent et se voient…
En moi, la lune qui décroît plonge son regard et se voit…
La mer et l’air chantent et voient – ils se voient, ils
[s’écoutent ravis…
Sans ivresse ni douleur, Chérubin – je ne suis personne –
[se réjouit.
Médiateur, je repose immobile…
Tout est en métamorphose, anéantissement, résurrection…
Ce que savent les sens, ce qu’ils reconnaissent et habitent
[est pure vision :
l’arbre, la lune
la grève, la mer…
… Le ciel est heureux au-delà du vacarme des plaintes et
[le cœur de jubilation
et les rose sauvages de l’été au bord de l’eau…
Traduit du danois par Carl Gustav Bjurstrom
In , Revue « Les lettres Nouvelles », Denoê,1974