Maïakovski (Vladimir Vladimirovitch) / Маяковский (Владимир Владимирович) (1893 – 1930) : Prologue à la Tragédie « Vladimir Maïa
Prologue à la Tragédie « Vladimir Maïakovsky »
Est-ce vous
qui comprendrez pourquoi
serein,
sous les tempêtes de sarcasmes,
au dîner des années futures
j’apporte mon âme sur un plateau ?
Larme inutile coulant
de la joue mal rasée des places,
je suis peut-être
le dernier poète.
Avez-vous vu
comme se balance
entre les allées de briques
le visage strié de l’ennui pendu ?
Sur le cou écumeux
des rivières bondissantes
les ponts tordaient leurs bras de pierre.
Le ciel pleure
avec bruit,
sans retenue,
et le petit nuage
fait de la bouche une grimace fripée
comme une femme dans l’attente d’un enfant
a qui Dieu jetterait une borgne imbécile.
De ses doigts enflés couverts de poils roux
le soleil vous a épuisé de caresses, importuns comme
un bourdon.
Vos âmes sont asservies de baisers.
Moi, intrépide
je porte aux siècles ma haine des rayons du jour,
l’âme tendue comme un nerf de cuivre,
je suis
l’empereur des lampes.
Venez à moi,
vous tous
qui avez déchiré le silence
qui hurlez
le cou serré dans les nœuds coulants de midi.
Mes paroles
simples comme des mugissements
vous révèleront
nos âmes nouvelles,
bourdonnantes
comme l’arc électrique.
De mes doigts je n’ai qu’à toucher vos têtes
et il vous poussera
des lèvres
faites pour d’énormes baisers
et une langue
que tous les peuples comprennent.
Mais moi, avec mon âme boitillante
je monterai sur mon trône
sous les voûtes usées trouées d’étoiles.
Je m’allongerai
lumineux,
vêtu de paresse
sur une couche moelleuse de vrai fumier
et doucement,
baisant les genoux des traverses,
la roue d’une locomotive étreindra mon cou.
Traduit du russe par Claude Frioux
In, « Maïakovski par lui-même »
Editions du Seuil (Ecrivains de toujours), 1961
Prologue
V. Maiakovski
Vous, pouvez-vous saisir
Pourquoi me voici,
Paisible
Sous l’orage des railleries,
Portant mon âme sur un plat
Au banquet des siècles à venir ?
Coulant en inutile larme
De la joue pas rasée des grand’places,
Je suis
Peut-être
Le dernier poète.
L’avez-vous remarqué ?
Elle se balance,
Dans les allées caillouteuses,
Sur la corde des branches la face tailladée de l’ennui
Et chez les fleuves vifs à fuir,
Sur leurs nuques d’écumes savonneuses,
Tout pont s’est mais à miner ses mains de fer.
Le ciel pleure
Des pleurs sans borne,
Des pleurs qui sonnent ;
Et chez le petit nuage
Sur le pli de la grosse bouche loge une petite grimace ;
On dirait la femme qui attendait un bébé
Et Dieu lui a jeté un crétin contrefait.
Doigts dodus dans les cheveux roux,
Le soleil vous a grattés de mamours avec l’assiduité d’une guêpe ;
Dans vos âmes sous ces baisers un esclave s’en est allé.
Sans effroi me voilà ;
La haine des rayons du jour, je la porte de siècle en siècle ;
L’âme étirée en tendons de fils de fer,
Me voilà
L’empereur des lampes !
A moi, tous, venez,
Celui qui lacéra le silence,
Celui qui hurla
Contre les lacets trop serrés du grand jour ;
Je vais vous découvrir
Avec des mots,
Des mots simples comme des meuglements,
Nos âmes neuves,
Guêpes bourdonnantes
Des tremblements des arcs de lampes.
Moi je ne ferai que juste effleurer de mes doigts vos têtes
Et chez vous
Il y aura surgissements de lèvres
Pour des baisers immenses
Et surgissement d’un langage
Pour tous les peuples intime langue.
Pour moi, claudicaillant de l’âme,
Je m’en irai vers mon trône
A trous d’étoiles sur firmaments usagés.
Je m’étendrai,
Lumineux,
En mes parures de paresseux,
Sur une douce couche de vraie fumure,
Et, dans son silence,
Tout en caressant les genoux des rails,
La roue de la locomotive fera le tour de mon cou.
Traduit du russe par Armand Robin
In, Armand Robin : « Poésie non traduite. II »
Editions Gallimard, 1958
Du même auteur :
Vente au rabais (/28/08/2016)
Christophe Colomb / Кристоф Коломб (28/08/2017)
La flûte des vertèbres /Флейта-позвоночник (02/04/2019)
La blouse du dandy / Кофта Фата (02/04/2020)
« Ecoutez !... » / « Послушайте! ... » (02/01/2021)
J’aime / Люблю (02/04/2022)
ПРОЛОГ
Вам ли понять,
почему я,
спокойный,
насмешек грозою
душу на блюде несу
к обеду идущих лет.
С небритой щеки площадей
стекая ненужной слезою,
я,
быть может,
последний поэт.
Замечали вы -
качается
в каменных аллеях
полосатое лицо повешенной скуки,
а у мчащихся рек
на взмыленных шеях
мосты заломили железные руки.
Небо плачет
безудержно,
звонко;
а у облачка
гримаска на морщинке ротика,
как будто женщина ждала ребенка,
а бог ей кинул кривого идиотика.
Пухлыми пальцами в рыжих волосиках
солнце изласкало вас назойливостью овода -
в ваших душах выцелован раб.
Я, бесстрашный,
ненависть к дневным лучам понёс в веках;
с душой натянутой, как нервы провода,
я -
царь ламп!
Придите все ко мне,
кто рвал молчание,
кто выл
оттого, что петли полдней туги, -
я вам открою
словами
простыми, как мычанье,
наши новые души,
гудящие,
как фонарные дуги.
Я вам только головы пальцами трону,
и у вас
вырастут губы
для огромных поцелуев
и язык,
родной всем народам.
А я, прихрамывая душонкой,
уйду к моему трону
с дырами звезд по истертым сводам.
Лягу,
светлый,
в одеждах из лени
на мягкое ложе из настоящего навоза,
и тихим,
целующим шпал колени,
обнимет мне шею колесо паровоза.
Poème précédent en russe:
Anna Akhmatova / Анна Ахматова : Epilogue, I / эпилог, I (04/07/2015)
Poème suivant en russe :
Ossip Emilievitch Mandelstam / О́сип Эми́льевич Мандельшта́м : « Homère, l’insomnie… » / Бессоница, Гомер, тугие паруса (26/09/2015)