Vladimir Vladimirovitch Maïakovski / Владимир Владимирович Маяковский (1893 – 1930) : A Serge Essénine (2)
A Serge Essénine
Dans un monde meilleur,
comme on dit, vous voilà !
Dans le vide volant,
traversant les étoiles ;
Ni le bistrot
ni vous,
n’y gagnez rien,
hélas !
Tempérance totale !
Je ne puis vous railler...
Non
Essénine, assez !
J’étouffe
de chagrin, hélas !
et non de rire.
Un sac,
plein de vos os,
je vous vois balancer
D’une main entaillée.
Arrêtez !
Oh ! délire !
Arrêter !
Avez-vous
perdu toute raison,
Vous laissant
envahir
par la craie et la glace ?
Vous seul
saviez pourtant
entonner des chansons
Qu’un autre
n saurait chanter
à votre place !
Pourquoi ? Comment ?
Hélas !
Qui donc est fautif ?
La critique marmonne
et ceci
et cela,
Pas de mesure... mais
ce pas définitif,
Viens d’un abus de vin,
et de vodka... Voilà !
Les vrais fauteurs n’en sont
ni corde, ni canif,
Qui ne savent parler.
La cause n’est pas claire
Il n’aurait pas ouvert
sa veine
sans motif
S’il avait eu de l’encre
à l’hôtel d’Angleterre.
Sa langue
est à jamais
prisonnière des dents :
A quoi bon
à présent
raisonner ce mystère,
Le peuple,
créateur de langage,
y perdant
Son sonore apprenti,
noceur et téméraire.
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Il n’est pas érigé
de monument encor,
Pas de pierre taillée
pas de bronze qui sonne.
Mais devant son tombeau
voici qu’afflue en chœur
Le rebut des écrits
offert à sa personne...
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La canaille
n’est pas bien plus rare
qu’avant,
On y suffit à peine,
il reste tant à faire
Notre vie -
La changer !
c’est après seulement
Qu’on peut la célébrer
en poésies sincères.
Il est vrai, pour la plume
est ingrat notre temps,
Mais dites-moi,
vous tous,
infirmes que vous êtes,
Dans quel temps,
dans quel lieu,
aurait pris un vrai « grand »
Une route facile et déjà toute faite ?
Ô toi, puissance humaine,
ô verbe conducteur !
En avant !
que derrière
éclatent les grenades
Des ans
et que le vent emporte,
novateur
Leurs démêlures fades !
Notre planète est loin d’être
un lieu de plaisir
Il nous faut
arracher la joie
aux jours qui filent.
Dans la vie
une chose est
simple : c’est mourir.
Refaire la vie
est bien plus difficile !
1926
Traduit du russe par Katia Granoff
In, « Anthologie de la poésie russe »
Editions Gallimard (Poésie), 1993
Du même auteur :
Prologue à la Tragédie « Vladimir Maïakovsky » / ПРОЛОГ (28/08/2015)
Vente au rabais (28/08/2016)
Christophe Colomb / Кристоф Коломб (28/08/2017)
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