David Herbert Lawrence (1885 – 1930) : La nef de mort / The ship of death
La Nef de mort
I
Or c’est l'automne et la tombée des fruits
et le long voyage vers l'oubli.
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II
Avez-vous construit votre navire de la mort, ah, l’avez-vous fait ?
Ah, construisez votre nef de mort, vous en aurez besoin.
Le gel cruel approche, et vont tomber les pommes
dru, à bruit de tonnerre, sur la terre durcie.
Et la mort est dans l'air comme une odeur de cendre!
Ne la sentez-vous pas?
Et dans le corps meurtri, l'âme s’effraie,
contractée, se garant du froid
qui par tous les jours souffle sur elle .
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V
Construisez donc la nef de mort, car il vous faut faire
le plus long voyage, vers l'oubli.
Et mourir de la mort, de la longue et douloureuse mort
qui du vieux moi sépare le nouveau.
Déjà nos corps sont tombés, meurtris, méchamment meurtris,
déjà nos âmes suintent par l’issue
de la cruelle meurtrissure.
Déjà l'océan noir et sans fin de la fin
pénètre par les brèches de nos blessures,
déjà le flot nous touche.
Ah construire votre nef de mort, votre petite arche
et pourvoyez - la de nourriture de galettes, de vin
pour la sombre descente vers l’oubli.
VI
Pièce à pièce meurt le corps, et l'âme timide
voit le sol dérobé sous elle, tandis que monte le flot noir.
Nous mourons, nous mourons, tous nous mourons
et rien n’arrêtera le flot mortel qui monte en nous,
et bientôt il s’élèvera sur le monde, le monde alentour.
Nous mourons, nous mourons, pièce à pièce nos corps meurent et
la force nous quitte,
et notre âme se tapie nue dans la pluie noire au-dessus du flot,
tapie dans les dernières branches de l'arbre de notre vie.
VII
Nous mourons, nous mourons, et tout ce que nous pouvons faire
maintenant c’est d’accepter de mourir et de construire la nef
de la mort pour porter l'âme dans le plus long voyage.
Une petite nef, avec les avirons et la nourriture
les petits plats, et tous l’équipement
convenable et disponible pour l'âme qui s’en va.
Maintenant lancez la petite nef, maintenant que meurt le corps
Et que la vie s’en va, embarquez, l'âme frêle
dans la nef vaillante et frêle, l'arche de la foi
avec saprovision de nourriture et ses petits poêlons
ses habits de rechange,
sur les désert noir des flots
sur les eaux de la fin
sur l’océan de la mort, où nous voguons toujours
dans le noir, sans pouvoir gouverner, et sans avoir de port.
Il n'y a pas le port, nulle part où aller
seulement le noir qui s’épaissit et s’assombrit encore
plus noir sur le flot sans bruit, sans clapotis
ténèbres à l’unisson des ténèbres de haut en bas
et par côtés ténèbres totales, sr sorte su’il n'y a plus de direction.
la petite nef est là, et pourtant disparue.
On ne la voit pas, car il n'y a rien par quoi la voir.
Elle est disparue! Disparue ! pourtant
quelque part, elle est là.
Nulle part!
VIII
Et tout a disparu, le corps a disparu
Tout à fait englouti, disparu, tout entier.
La ténèbre d’en haut est aussi épaisse que celle d’en bas,
entre elles, la petite nef
est disparue
elle est disparue
C’est la fin, c’est l'oubli.
IX
Et pourtant, hors de l'éternité un fil
se détache sur le noir,
un fil horizontal
qui fume un peu pâlement sur le sombre.
Est-ce illusion ? la pâleur fume-t’elle
Un peu plus haut?
Attendez, attendez, car voici l’aurore,
la cruelle aurore du retour de la vie
hors de l'oubli.
Attendez, attendez, la petite nef
dérive, sous la mortelle cendre grise
d'une aurore inondée.
Attendez, attendez ! c’est cela, une onde de jaune
et étrangement, ô âme blême et glacée, une onde de rose.
Une onde de rose, et tout repart.
X
Le flot s’abaisse, et le corps comme un coquillage usé
émerge étrange et beau.
Et la petite nef rentre au port, hésitante et confuse
sur le flot rose,
et l'âme frêle en sort, rentres dans sa maison
le cœur rempli de paix.
Le cœur s’élance en paix nouvelle
de l'oubli même.
Ah construisez votre nef de mort, construisez – la !
car vous en aurez besoin.
Car le voyage en oubli vous attend.
Traduit de l’anglais par J.J. Mayoux
In, D.H. Lawrence :Poèmes /Poems
Editions Aubier(collection bilingue), 1976
Du même auteur :
Désir de printemps / Craving for spring (10/06/2016)
Ombres / Shadows (10/06/2017)
Les secrètes eaux / The secret waters (09/06/2018)
La lande sauvage / The wild common (10/06/2019)
Renaissance /Renascence (10/06/2020)
Enfant dans la discorde / Discord in childhood (10/06/2021)
Crépuscule / Twilight 10/05/2022)
The ship of death
I
Now it is autumn and the falling fruit
and the long journey towards oblivion.
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II
Have you built your ship of death, O have you?
O build your ship of death, for you will need it.
The grim frost is at hand, when the apples will fall
thick, almost thundrous, on the hardened earth.
And death is on the air like a smell of ashes!
Ah! can't you smell it?
And in the bruised body, the frightened soul
finds itself shrinking, wincing from the cold
that blows upon it through the orifices.
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V
Build then the ship of death, for you must take
the longest journey, to oblivion.
And die the death, the long and painful death
that lies between the old self and the new.
Already our bodies are fallen, bruised, badly bruised,
already our souls are oozing through the exit
of the cruel bruise.
Already the dark and endless ocean of the end
is washing in through the breaches of our wounds,
already the flood is upon us.
Oh build your ship of death, your little ark
and furnish it with food, with little cakes, and wine
for the dark flight down oblivion.
VI
Piecemeal the body dies, and the timid soul
has her footing washed away, as the dark flood rises.
We are dying, we are dying, we are all of us dying
and nothing will stay the death-flood rising within us
45and soon it will rise on the world, on the outside world.
We are dying, we are dying, piecemeal our bodies are dying
and our strength leaves us,
and our soul cowers naked in the dark rain over the flood,
cowering in the last branches of the tree of our life.
VII
We are dying, we are dying, so all we can do
is now to be willing to die, and to build the ship
of death to carry the soul on the longest journey.
A little ship, with oars and food
and little dishes, and all accoutrements
fitting and ready for the departing soul.
Now launch the small ship, now as the body dies
and life departs, launch out, the fragile soul
in the fragile ship of courage, the ark of faith
with its store of food and little cooking pans
and change of clothes,
upon the flood's black waste
upon the waters of the end
upon the sea of death, where still we sail
darkly, for we cannot steer, and have no port.
There is no port, there is nowhere to go
only the deepening black darkening still
blacker upon the soundless, ungurgling flood
darkness at one with darkness, up and down
and sideways utterly dark, so there is no direction any more
and the little ship is there; yet she is gone.
She is not seen, for there is nothing to see her by.
She is gone! gone! and yet
somewhere she is there.
Nowhere!
VIII
And everything is gone, the body is gone
completely under, gone, entirely gone.
The upper darkness is heavy as the lower,
between them the little ship
is gone
she is gone.
It is the end, it is oblivion.
IX
And yet out of eternity, a thread
separates itself on the blackness,
a horizontal thread
that fumes a little with pallor upon the dark.
Is it illusion? or does the pallor fume
A little higher?
Ah wait, wait, for there's the dawn,
the cruel dawn of coming back to life
out of oblivion.
Wait, wait, the little ship
drifting, beneath the deathly ashy grey
of a flood-dawn.
Wait, wait! even so, a flush of yellow
and strangely, O chilled wan soul, a flush of rose.
A flush of rose, and the whole thing starts again.
X
The flood subsides, and the body, like a worn sea-shell
emerges strange and lovely.
And the little ship wings home, faltering and lapsing
on the pink flood,
and the frail soul steps out, into the house again
filling the heart with peace.
Swings the heart renewed with peace
even of oblivion.
Oh build your ship of death, oh build it!
for you will need it.
For the voyage of oblivion awaits you.
Last poems,1932
Poème précédent en anglais :
William Blake : “ L’alouette, sur son lit de terre… / The Lark, sitting upon his earthy bed…” (29/04/2015)
Poème suivant en anglais :
Emily Jane Brontë : Il devrait n’être point de désespoir pour toi / There should be no despair for you (18/07/2015