Abdellatif Laâbi (1942 - ) : « Emmurée… »
Emmurée
Ton cœur continue à battre
au fond des ténèbres
Dans ton cœur
un œil s’est ouvert
Il voit ce que nous ne savons plus voir :
le rictus du bourreau
tapi en chacun de nous
le visage de l’innocence
piétiné par la horde
l’étincelle de la compassion qui seule
peut nous illuminer de l’intérieur
la main qui s’ouvre
pour que la tendresse jaillisse
comme de source
le signe de reconnaissance
avant la fonte des métaux humains
dans l’acte prodigieux de l’amour
la bouche sans fard
d’où vont couler
les paroles si rares de vérité
les sept lettres plus que parlantes
de notre souveraine liberté
Je vous laisse maintenant
et je vous laisse
la dernière maison
Je ne vous dirai rien
de là où je vais
ni pour combien de temps
N’imaginez pas le pire
mais ne vous bercez pas trop
d’illusions
Pensez à moi comme si j’étais
dans la chambre d’à côté
marchant sur la pointe des pieds
pour ne pas déranger
m’abstenant de manger
pour éviter les sorties
dormant de jour
pour veiller sur vos nuits
écrivant sur les murs
pour les maintenir écartés
et m’assurer de la bulle d’air
dont on a besoin
dans n’importe quelle vie
Oubliez-moi un peu
et surtout ne me plaignez pas
Rien ne dit qu’il s’agisse
d’un terme
ou d’un prélude
Rien dans tout cela
Ne s’oppose à l’amour
Je vous laisse maintenant
D’autres messages suivront
Ecris la vie,
Editions la différence, 2005
Du même auteur :
« Je m’en irai… » (12/04/2016)
« Tu te souviens… » (12/04/2017)
Deux heures de train (12/04/2018)
J’aurai aimé t’emprunter tes yeux (12/04/2019)
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