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Le bar à poèmes
29 juillet 2025

Nathan Zach (1930 - 2020) / נתן זך : Continent perdu

 

 

Continent perdu

 

 

Nous sommes montés de la mer comme du fond du brouillard


continent perdu parsemé d’ossements humains de vestiges


archéologiques : habitation provisoire, cinq couches


de tombes et par-ci par-là un temple et un bureau de placement. Nous avons lu


les inscriptions en écriture cunéiforme : elles parlaient de nous


aussi n’avons-nous pas compris.

 

 

De temps en temps filait une voiture, carcasse calcinée 


sur fond de moignons d’arbres. Au loin sifflait la sirène


du brouillard. Les buissons comme abattus par le poids 


de l’eau. Ici fut livré le dernier combat, précédé de tâtonnements


aveugles et de contacts intermédiaires et de sciences exactes. Le guide indécis


ne savait rien de précis, enrhumé, sa voix comme la voix du grillon.

 

 

Nous nous sommes garés dans une auberge routière.


     Avons fait bonne chère


mais la patience manquait. Par la fenêtre on apercevait une statue de pierre


aux formes érodées par l’eau : quelqu’un chevauche et quelqu’un est 


     chevauché.


Les yeux bridés, étranger au lieu, probablement d’Extrême-Orient, le garçon.


Il faisait bon s’asseoir à côté de la cheminée, regarder la télévision, une


      télécommande


à la main, s’abandonner à la façon des touristes et écouter


la voix montant de la boîte à lumière, ne parle ni ne blesse.

 

 

Continent perdu. Promesse tenue et non tenu, lieu


issu de la mer, lieu qui retournera à la mer. lieu pauvre en lumière, lieu


où l’on désire revenir, vous savez comment riment 


ces mots. L’orchestre bon, peut-être


nègre. Une certaine lourdeur de satiété après le repas aussi


la serveuse aux sein nu nouvelle mode ne reçut-elle


qu’un coup d’œil rapide.

 

 

Il faut toujours voyager, ne pas s’installer, comme jeunes nous le pensions.


Seul le voyage assure une perspective, rabais pour qui paie d’avance. Rien que


sortir – crie le prisonnier qui cogne désespérément sur la porte de la prison. 


     Sortir


est aussi une loi de la nature : le poussin sortira de l’œuf, sinon –


il mourra. Sortir est un droit. Exister non seulement ici ou là


mais pour tous tant qu’il reste une chance plausible :


chanter sans paroles, dans le mutisme du monde comme la voix de la mer


un jour d’hiver, comme la nuit près de la plage,


s’asseoir parmi les étrangers et se taire


lorsqu’autour de sois tout s’engouffre vers le lieu d’où tout sortit :


d’abord la végétation. Puis aussi les gens : hommes,


femmes et enfants, livres et montres à la main, tels des réfugiés, billets,


lieu invisible, on appelle, autre lieu invisible,


on répond, les contrôleurs s’agitent et les soldats ration de fer en main


portent des vieillards et de-ci de-là tombe une valise : valise


blessée, atteinte, qui ne voyagera plus et les bateaux déjà là, toujours


là les bateaux qui arrivent ou qui partent de toute éternité et comme en rêve


un monde qui ne fut, couvert de débris de verre et de prophète d’apocalypse


et de cris en juif, en allemand, en arabe, et les eaux submergent


tout à la dérobée et le sable doux comme il y a des années et on s’habitue


et il fait bon s’allonger sur le sable et ne pas se réveiller.

 

 

 


Traduit de l’hébreu par Charlotte Wardi


Les poètes de la Méditerranée. Anthologie


Editions Gallimard (Poésie), 2010

 


Du même auteur :


La lamentation sur Daniel dans la terre (12/02/2018)


« Parfois très tard dans la nuit... » (12/02/2019)


« Je voudrais toujours des yeux pour voir... » (12/02/2020)


Au bord des mers (29/07/2024)
 

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