Nathan Zach (1930 -) / נתן זך : Au bord des mers
Au bord des mers
Les navires qui nous amenèrent bâtir
Pithom et Ramsès repartirent comme ils étaient venus
et nous restâmes sur la côte avec les bâtiments géants et muets
qui ne surent nous dire pour quel maître et à quelle fin ils furent bâtis.
Bientôt descendra la grande nuit, la nuit du désert,
rares sont les heures de clarté dans ces régions.
Et nous restions avec les choses que nous croyions belles
et dignes qu’on lutte pour elles, sans savoir
si le soleil levant partageait aussi notre avis.
Toute notre vie avons investie dans ces bâtiments :
Les meneurs parlaient aux ouvriers,
les ouvriers bâtissaient, organisaient des grèves, tombaient des échafaudages
donnaient de bon ou de mauvais gré leur vie pour
les idées compliquées à leur disposition.
Nous travaillions dans la pénombre, le peu de clarté n’était pas notre clarté
mais le reste de la clarté d’une autre génération.
Mais nous vivions aussi. Partout où nous posions
le pied c’était la Terre sainte, la Terre prédestinée,
la Terre promise. Les femmes attendaient les hommes aux fenêtres
et les hommes allaient solitaires dans l’espace infini d’un bout à l’autre
de l’horizon. Nous ne connaissions ni faute ni salaire
car faible était la clarté et pas nôtre.
Et sur les quais les gens s’aimaient et les colombes glanaient des graines
et des chiens allaient de-ci de-là et des astrologues
dirigeaient leurs lunettes vers le ciel en signe d’interrogation.
La vie des hommes n’était pas aisée et s’achevait
parfois dans les eaux glacées ou au cinéma
ou à l’hôtel. Mais nous assumions avec fierté
et patience les devoirs pesants pris
sur nous par crainte des tribus du désert, et parfois
nous naviguions sur les eaux stagnantes et sûres
dans des directions familières et vers des gens dont nous savions bien
ce qu’ils avaient à dire.
Traduit de l’hébreu par Charlotte Wardi
Les poètes de la Méditerranée. Anthologie
Editions Gallimard (Poésie), 2010
Du même auteur :
La lamentation sur Daniel dans la terre (12/02/2018)
« Parfois très tard dans la nuit... » (12/02/2019)
« Je voudrais toujours des yeux pour voir... » (12/02/2020)