Bachir Hadj Ali (1920 – 1991) : Que le chant ne meure
Que le chant ne meure
« GUEL OU GUEL »
(Quatre chants de guerre et d’amour
sur un thème du Sud algérien)
PREMIER CHANT
(Introduction)
DIMANCHE Guel ou Guel
Homme qui attend quoi
Les sages disent
Chaque vie porte sa fin
Chaque fin donne la vie
LUNDI Où est Abou Bakr Essediq
Où est la palmeraie de Fadaq
Refusée à Lala Fatima
Au nom du bien commun
MARDI Où est Ohtmane de la vulgate
Sa demeure bien assiégée
Sa chemise rouge de sang
Sur la chaire à Damas exposée
MERCREDI Où est Sid Ali son coursier
Ses prouesses vitales à Siffin
Firent refluer l’Euphrate
Où est Moawaya maître du jeu
JEUDI Où est Adib El Hatim
De la belle tribu des Tayy
Ses vers flamboyaient
A la bataille de Nahrawane
VENDREDI Où est Yazid le pèlerin
Sur son âne fidèle
Sa peau bourrée de paille
Fut livrée aux singes
SAMEDI Où est l’homme de la Maqta
Où est la ruée des Hadjoute
Où est le héros de Seddouq
Ce haut lieu des Rahmanya
*
* *
DEUXIEME CHANT
(Avant le combat)
DIMANCHE Guel ou Guel
Sur le belvédère en ruine
Palabrent des chacals tatoués
Sur l’innocence de la lune
Urinent les fils de la chienne
LUNDI La forêt notre sagesse
Le refuge dernier le doigt levé
Dans cette solitude close
Nous parvient l’ayay du message
MARDI Pas de souq pour le courage
Mais un souq pour la lâcheté
O marchand de fidélité
Est-il fidèle qui se vend
MERCREDI Honteux s’enfuit le soleil
Rouge de notre défaite
Où est l’année des héros
Et des femmes patientes
JEUDI O toi voyant toi audiant
La raison adulte se blesse
L’œil perçant s’aveugle
Le coeur aimant dépérit
VENDREDI La chair est d’argile
L’âme est de granit
Que ce chant assourdisse
L’entremetteur sans foi
SAMEDI Viendra le temps des aviatrices
Amazone des bouraq futurs
Mon dire précède
La marche féminine de l’espace
*
* *
TROIXIEME CHANT
(Après le combat)
DIMANCHE Guel ou Guel
J’étais balle précise
Au siège de Sidi-Brahim
J’étais tablette sauvegardée
De l’alphabet dispersé
LUNDI J’étais cordée de lions
Au flanc d’Icherridène
J’étais braise aux Chougrane
A l’extinction des feux
MARDI J’étais étincelle cachée
De la flamme pourchassée
J’étais sentinelle de pierre
Dans la géhenne d’Oued Hellal
MERCREDI Les joutes et la guerre
Epousent les passions
Dans ma poitrine ouverte
L’amour courtise l’audace
JEUDI Aux heures d’accalmie je rêvais
A ton port qsourien ce pardon
Tes yeux sur ma plaie
Un baume une bénédiction
VENDREDI Sur les douceurs du soir
Je marcherai vers toi
Longuement je boirai
Longuement à tes lèvres fines
SAMEDI La femme est parole
(matin) L’homme est geste
L’homme vaut sa tribu
Qui marie la parole au geste
SAMEDI L’âme épouse l’âme
(soir) Le corps épouse le corps
Les yeux qui ont aimé
Chantent pour l’aurore
*
* *
QUATRIEME CHANT
(Le retour)
DIMANCHE Guel ou Guel
Fade cet amour sans combat
Perdue cette guerre sans amour
Sois vaillant et courtois
Et veille aux portes du qsar
LUNDI Le vin de sa bouche
Incendie mon sang
Ma joie sur son bras écoute
La musique du monde
MARDI L’œil non le tisserand
Donne sa transparence au voile
L’épanouissement des lignes
Prend naissance aux chevilles
MERCREDI La main du potier crée
Le mouvement du vase
Et le port de la fleur
L’occupante du vase
JEUDI Ces arceaux et ces ombres
Le ciel à portée de la main
Une baie sur les dunes
Le secret de la création
VENDREDI Le ciel chasse les corbeaux
L’étang reprend ses étoiles
L’oasis se réveille irriguée
Ses bras offerts aux palmeraies
SAMEDI Mort le troubadour
(à l’aube) Son chant demeure
Vaincu mon troubadour
Mais non brisé
SAMEDI Poète errant exilé
(dans Tombeau perdu près de Belkhir
l’après-midi) Tu as prédit des défaites
Plus bénéfiques que les victoire
SAMEDI Jeunes porteuses de plants
(le soir) Je vous assois sur mes épaules
Des racines cruelles poussent
Sur cette terre maternelle
*
* *
FINAL
Guel ou Guel
Jeunes porteuses de plants
Mes sœurs mal aimées
Vous serez accoudées
Sur des trônes verdoyants réels
Les cueillettes seront abaissées
« Vous serez chéries de chérissement »
Il suffirait il suffirait
De couper les braches mortes
De tracer le sillon
De l’élargir sans cesse
A travers les sables
Qui emprisonnent vos pas
... Que la joie demeure
Pierre Jean Oswald éditeur, 14600 Honfleur, 1970
Du même auteur :
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