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Le bar à poèmes
15 mai 2025

Frédéric – Jacques Temple (1921 - 2020) : La chasse infinie

 

 

La chasse infinie

 

LA CHASSE INFINIE


à Brigitte

 

C’est par les veines de la terre


que vient Dieu,


par les pieds qui sont racines


dans l’humus et la pierre,


vers les cuisses, l’aine humide


et douce


comme un herbage de varaigne,


et non du ciel


virginal


où il ne trône pas.


Sur un lit de faînes rousses


je le contemple


par les pores de l’inconscience


et j’adore la senteur fauve


qui transsude


de sa présence abyssale.


Erigé dans la folle avoine


je le traque,


l’auroch éternel


hérissé d’angons,


dont l’œil béant m’invite 


à la chasse infinie

 


MEMOIRE


à Luis Mizon

Immobile


sois

 

immobile

 

 

écoute


le soleil


monter


dans le vol des courlis

 

 

reste immobile

 


quand passe le busard


sur les roseaux


de l’aube

 

 

immobile


à l’espère


vois


dans le vol des pluviers


ta mémoire


inconnue


se lever au ponant.

 

 

SUD

 

En vérité je suis mort


dans les dunes asservies


squale pourrissant


au soleil imparable.

 

 

Où est l’enfance du Sud


dont bat le cœur terrible


sous l’hypogée ?

 

 

J’allume un feu secret


pour les rives du ciel


dernier défi haute prière


vers les dieux abolis.

 

 

 

 

 

 

De la glaise


vivante encore


dans la caverne


en sommeil


la main 


millénaire


vers moi se tend :

 

 

la mienne.

 

*

STELES

 

sur des sculptures de Robelin

En ce temps là


nulle écriture pour dire le monde.


Surgi des gouffres de la genèse


seuls se dressaient des signes


paniques, fabuleux espoirs peut-être


sur les déserts béants


dans l’épaisseur des forêts primordiales.

 

 

Chimère de vouloir écrire


sur l’avant-écriture


pour traduire les pierres à visage 


enfouies dans les ronciers des causses,


les stèles égarées des plaines barbares,


les veilleurs alignés 


de Palaggiu ou de Filitosa, 


les menhirs des brandes celtiques,


tous ex-voto de l’aurore de l’homme.

 

 

Colonne, cippe – signal ou mémoire –


la stèle est aussi l’axe de la racine


qui plonge au cœur du cinéraire.


L’homme de la caverne


palpite encore en nous


et reconnaît les vieux repères


trouant comme des phares


la nuit des temps.

 

 

En ce temps-là...


C’est maintenant, c’est demain.


Les rudes stèles nous relient


aux abysses du silence


où la glaise lentement s’animait.

 

 

DORS, OMBRE ROUGE

 

 

Quand la nuit pénètre la mer


luisant de mille ardoises


ma mère est là


dans l’odeur des alyssons


et des lys des sables.

 

 

Elle sourit telle autrefois


dans les prés fleuris de l’enfance


me regardant comme en un rêve.

 

 

Dort-elle ?

 

 

Pourquoi dors-tu 


depuis si longtemps déjà ?


Tant de luzernes mûres et fanées


ont passé sur ton sommeil !

 

 

Dors, ombre douce, 


un jour je te réveillerai


comme une fanfare


et nous irons, âmes ardentes,


cueillir la verveine


de la tendresse triomphante.

 

 

AVERTISSEMENT

 

 

Il est temps 


de vivre d’eau nue


dans l’orbe d’un soleil majeur


avant que le rire uniforme


n’abolisse la fleur intime.

 

 

Le temps vient


horreur sur le monde


du sang profond.

 

 

La carcasse étonnée de gel


se dresse dans l’ombre

 

 

Un crâne de vile matière


tel sera notre amour


autrefois si doux


de ses lèvres et de ses bras.

 

 

LAISSEZ-MOI

 

Laissez-moi vous dire


qu’ils ont annulé l’oiseau


laissez-moi


Ô laissez-moi vous dire    


qu’ils ont souillé le sable

 

 

non, laissez-moi le silence


laissez-moi


Ô laissez-moi !

 

 

NONSENSE

 

 

Le linge


de l’ange


lange


le singe.

 

 

SEPT


à Claude Michel Cluny

C’est le chiffre


de Dieu qui se repose


terminé l’ardent travail


Ô folle création


née d’un raté


de l’éternel sommeil.

 

 

ARMAGEDDON


à Jean Hugo

 

L’antique soleil agonisait. Jamais plus ne jailliraient de sa gueule les beaux


poissons de turquoise, les papillons d’obsidienne qui crachaient du feu. 


Lorsque tout érigé le cheval noir le traversa, l’astre caduc se retrouva lune 


morte.

 

 

Un épouvantable silence bleu régna.

 

 

Quelques écailles calcinées retombèrent avec un bruit d’ailes brisées et se


perdirent dans l’infini de la désolation. On entendit couiner les pipistrelles


dans les abysses, des âmes peut-être ou leurs fantômes, mieux encore leurs


prévisions déjà douloureuses. Et ce fut comme la longue infiniment plaintive


affliction d’un violon monocorde perdu dans un éther de cristal.

 

 

 

 

La chasse infinie


Editions Jacques Brémond, 30490 Montfrin-sur-Gardon, 1995

 

Du même auteur:,


La prison de Socrate (13/10/2014)


Un long voyage (13/10/2015)


Profonds pays (II) (15/05/2018)


Westbound (14/05/2019)


Thessalonique (15/05/2020)


Northbound (01/11/2020)


Sud (15/05/2021)


Profonds pays (I) (01/11/2021)


Profonds pays (III) (15/05/2022)


Caravane (15/05/2023)


Profonds pays (IV) (15/05/2024)
 

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