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Le bar à poèmes
5 mai 2025

François Cheng (1929 -) : Cantos toscans (II)

© Leemage 

 

 

 Cantos toscans 

 

....................................................................

 

Que savons-nous des Anciens,


De leurs joies et de leurs peines ?


Que savons-nous de nous-mêmes, 


De nos peines et de nos joies ?


D’autres que nous retrouveront


L’écho d’un soir sur le pré,

 

 

Parmi les rosées, rires, cris....

 

 


Midi le muet.


L’olivier mûrit son huile ;


La vigne mûrit son vin.


Les fourmis transportent leurs vivres.


Le long d’un muret herbeux


La campagne à perte de vue

 

 

Tait sa joie d’être.

 

 

 


Un plein été sur la terre.


« Chez nous, on glaçait le thé


Dans un puits. » Mais le lézard


Sent la brûlure de la pierre.


Lézard éventré crachant


Encore sa soif sans remède.

 

 

Le sol bourdonne de pavots.

 

 

 


Chemin creusé par les mains,


Chemin creusé par les pieds,


Chemin de vie qui serpente


Des enrailles jusqu’à la crête,


Où un cheval, muet, s’attarde,


Humant les nuages, puis aborde

 

 

L’autre versant de la montagne ;

 

 

 


(Vinci)

 

 

Le chemin montant vers toi est brûlé


De soif, de faim. Puis, à travers oliviers


Jusqu’au lieu où tu es né. Mais qu’à tu vu


De ton œil d’aigle ? Qu’as-tu touché, compris


Le long d’une vie ? Maints de tes rêves seront


Réalisés. Face au mystère, tu demeures

 

 

Mystère. Regard – sourire – regard ?

 

 

 


Face à Toi, les hommes ont porté


Leur génie à son comble. De l’œil


A la main, ils ont poursuivi


Leurs chimères, engendrant figures, 


De rêves et de sang, à seule fin


De survivre à leur passion, de

 

 

Supporter un peu Ta splendeur.

 

 

 


(Fresque de Barna, San Giminiano)

 

 

Le cruel et le violent


N’ont pas dit leur dernier mot.


Leurs faces plaquées sur les murs. !


Cruels, violents, nous le sommes.


Jusqu’au bout des yeux, des ongles :


Fouiller le cœur en sa chair. ;

 

 

Percer la chair jusqu’au cœur !

 

 

 


Sommes-nous là pour durer, 


Ou bien pour un seul été ?


La gloire née d’une main d’homme


A glissé d’entre les murs.


Trouant l’espace diapré,


La licorne sans tête pourchasse

 

 

 

L’ombre de l’après-midi.

 

 

 


Encore un pas nous serons au sommet.


Et nous verrons la mer d’entre les pins.


Ombre frangée d’or, odeur du rêve perdu,


Murmure d’un long après-midi terrestre.


Tout se retrouve : humus, résines, fumées,


Brises d’ici, brises d’ailleurs, trop lointains flots.

 

 

Plus loin encore blanche voile noyée de larmes.

 

 

 


L’éternité est là,


Un seul instant l’instaure.


L’instant où tu adviens


Et ouvres l’œil et vois


Qu’avant de t’effacer


Rien ne sera su par toi

 

 

Mais que tu voies, et loue...

 

 

 


L’infini n’est autre 


Que le va et vient


Entre ce qui s’offre


Et ce qui se cherche


Va-et-vient sans fin


Entre arbre et oiseau, 

 

 

Entre source et nuage.

 

 

 


Suivre le poisson, suivre l’oiseau.


Si tu envies leur erre, suis-les.


Jusqu’au bout. Suivre leur vol, suivre


Leur nage jusqu’à devenir


Rien. Rien que le bleu d’où un jour


A surgi l’ardente métamorphose.

 

 

Le Désir même de nage, de vol.

 

 

 


Mais l’oiseau point d’empreinte 


Ne laisse Son empreinte est


Son vol même. Nulle trace


Autre que l’instant-lieu,


Joie du pur avènement. :


Lieu deux ailes qui s’ouvrent,

 

 

Instant un cœur qui bat.

 

 

 


Dis donc ce qui vient de toi.


Dis tout ce qui te soulève


Au-dessus des contingences.


Le monde attend d’être dit,


Et tu ne viens que pour dire.


Ce qui est dit t’est donné :

 

 

Le monde et son mot de passe.

 

 

 


Contempler jusqu’à l’heure extrême,


Jusqu’à l’écoeurement, jusqu’au


Retournement. Muscles brûlés,


Os fendus. Un filet de sang


Re-trace l’initiale promesse


De la prime nuit où jadis

 

 

Jaillit l’impensable étincelle.

 

 

 


Ne quémande rien. N’attends jamais


D’être payé de retour. Le pur souffle


Que tu propages doit faire le long tour,


Par-delà tes jours. Te reviendra


En orties, ou en pierres, peu importe.


Il t’accompagnera dans ta marche

 

 

Plus loin que toi le long de la Voie.

 

 

 


Traces que laisse ton destin aimant, nullement


En ligne droite mais en cercles concentriques


Cercles rejoignant d’autres cercles mus par l’amour


Jusqu’à rejoindre l’immense cercle initial


Qui depuis toujours aimante tout, mêlant


Destins brisés er rêves primordiaux

 

 

Feuilles tombées ferments d’un printemps autre

 

 

 


Dans l’Ouvert, toutes choses se révèlent présences


Leur voie n’est point écoulement-épuisement


Présence à présence, elles se suscitent et s’élèvent


Transformant la marche droite et horizontale


En fumée bleue de l’accueil. Corps ailés tendus


Vers le clair et le haut, mouvement même du Tao !

 

 

Ah, élan du souffle, pur jaillissement, chant !

 

 

 


Que de l’autre royaume nous revienne


Ce que nous croyions perdu. Que reviennent


Ceux qui en s’éloignant n’avaient rien dit ;


Que leur cri muet soit notre pain quotidien.


Que revienne entière l’âpre déchirure :


Morsure et remords sont d’un seul tenant.,

 

 

Douleur et douceur se tiennent l’une par l’autre.

 

 

 


Mais l’autre royaume n’est point la mort.


L’autre royaume d’où provient le souffle


N’est-il à la source de celui-ci ?


Celui-ci perdant sa source ne perd-il


Son advenir ? Ne se donne-t-il la mort ?


Re-devenons ce qui surgit du Rien.

 

 

Ré-habitons ce qui du Rien advient.

 

 

 


Cette vie qui se termine en aveugle, 


En appel d’une muette, en chair


Hérissée de peines, de peur, oubliant


Avoir été l’unique sourire, au cœur


De l’éternité. Que laissera-t-elle ?


Qu’attend-elle ? Reconnaîtra-t-elle   ses pleurs

 

 

D’enfant dans l’innommé outre-regard ?

 

 

 


N’oublie pas ceux qui sont au fond de l’abîme,


Privés de feu, de lampe, de joue consolante,


De main secourable... Ne les oublie pas,


Car, eux, se souviennent, des éclairs de l’enfance,


Des éclats de jeunesse – la vie en échos


Des fontaines, en foulées du vent -, où vont-ils

 

 

Si tu les oublies ? Toi, dieu de souvenance. 

 

 

 


(Madonna del parto, à Monterchi)

 

 

Oui, que vienne le soi, que vienne


La paix, que le rouge-or cède


Enfin le pas au bleu-gris,


Couleur de robe maternelle.


D’un fils douleur consolante,


D’une mère douleur consolée,

 

 

La nuit sera de naissance.

 

 

 


L’heure donc est venue, Seigneur


De dévisager la vie


Selon toi, non selon nous


Accompagne-nous jusqu’au bout.


Pour que rien ne soit perdu.


Mais toi, le déjà perdu,

 

 

Viendras-tu à l’heure, Seigneur ?

 

 

 

 

 

 

Cantos toscans


Editions Unes, 06000 Nice,1999


Du même auteur : 


Un jour, les pierres (I) (15/052014)


Le long d’un amour (I) (15/05/2015)


Un jour, les pierres (II) (15/05/2016)


« Demeure ici… » (15/05/2017)


Un jour, les pierres (III) (05/05/2018)


L’arbre en nous a parlé (I) (05/05/2019)


L’arbre en nous a parlé (II) (05/05/2020)


L’arbre en nous a parlé (III) (05/05/2021)


Cantos toscans (I) (05/05/2022)


Cinq quatrains (05/05/2023)


Neuf nocturnes (05/05/2024)

 

Cantos toscans (II) (05/05/2025)

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