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Le bar à poèmes
2 avril 2025

Erwann Rougé (1954 -) : L’Absent (3)

 

 

 

RENNES, FRANCE, MARS 1958. 

 


leurs mots on répété la mort


ont raconté la même disparition.


l’ombre est restée dans les montagnes


ses ailes dans un seul vent.


et d’un coup l’égarement


la déchirure insensée.


le toucher d’une main 


qui n’attend plus.


« éloigne-toi éloigne-toi


ne reste pas près de l’oreiller. »


l’absence s’amasse derrière la porte

 

 


l’ange est impitoyable.


mord la blessure d’où l’on vient.


quand le sentier perd sa clarté d’attente


l’animal blessé se cache dans le talus


tout prend la couleur du sel.


depuis la fêlure continuer doucement.


les larmes la simple larme :


« où dors-tu ? »


l’histoire est un lieu de mer


l’oiseau baisse ses ailes


la lumière en vol.

 

 


on n’embrasse pas les paupières


de peur de mesurer la mort


le tout à perdre d’amour.


elle touche ses lèvres


dessine le baiser d’adieu.


elle a encore du sable dans l’oreille


la mer remonte des lambeaux.


l’emmêlement et l’affolement des doigts


jusqu’à la vague prochaine


et une immense fatigue.

 

 


il est mort avec les vrais morts.

 

 

elle sans bien comprendre


regarde la chambre vide


comme si elle la voyait 


pour la première fois.


quelque chose s’est déplacé


le linge en désordre


le papillon sec au coin du mur.


quelque chose s’est retiré


la fenêtre est glaciale et pure.


elle parle encore sans prononcer son nom


de danser l’ombre


avec une douceur invisible.

 

 

« fin février viendra bien vite. Je serai là. enfin. »


19 février 1958.

 


et si c’était autre chose


la chaise la fenêtre


ce brin de laine et les petits fagots d’herbes


cette odeur de draps propres.


il disait ne laisse pas le monde


salir la mer  et te « »voler » les mots ».


tout un été  ou presque


il était là «  te tenant »


au-delà du désert et un peu d’eau.


de ce juillet la fragrance d’amande


les peaux mêlées.


dans l’abandon dans le secret


il avait peur de ses mains.

 

 


peu à peu elle se souvient de tout


le flux et le reflux du sable


quelques pas à faire ici


la main et lui sans voix.


les oreilles pleines de sel


l’été sûrement


il y a la dune pour bavarder.


le rire derrière les yeux


attend que les choses d’elles- mêmes arrivent


que la clarté du soir tourne.


elle s’assoit au soleil pour fumer rêveusement.

 

 

« l’étrangeté partout. tous les dos les visages les yeux... il y a des


moments où je me sens devenir fou... »


23 décembre 1957

 

 


« amour de qui amour de quoi »


séparent la beauté du dedans


de la beauté du dehors


le lien dépourvu de sens


aime encore d’aimer.


se mêlent à la vie


le point vide et le souvenir des pas.


même si l’on trébuche 


sur ce que l’on pourrait dire


personne n’entend.


qui découpe les ombres et la fin des ombres


de ce qui arrive et qui revient te dire :


essaie tout de même d’emporter


quelque chose de la journée

 

.

 

la mer n’est plus loin


ses pieds devenus limon algue d’herbe


les remous de terre la dénouent de tout


s’arrêter là avant de ne plus savoir


où marcher..


ses mains tiennent tant d’oiseaux


verdiers gros-becs tarins fauvettes


lui parlent la langue des arbres.


le chant tout à l’autre grandit dans son ventre.


s’arrêter là pour l’entendre.

 

 


plus rien ne se presse sur la bouche


ne calme le passage au vide.


c’est autrement autre


l’enfant qui appelle de l’intérieur des yeux.


juste un instant retenir


le tremblement au cœur et aux poumons.


le moment se fige


la tête l’œil les genoux

 

 

parce que cet enfant-là...

 

 


« mon corps là au milieu de nulle part je voudrais descendre à la


rivière... me rafraîchir la nuque. »


23 décembre 1957

 

 

Toutes les phrases en italiques et entre guillemets sont des extraits de lettres


envoyées par Ali.

 


 
 
L’absent, 


Edition Unes, 06000 Nice

 


Du même auteur :

 
Puis ce ralenti (04/09/2017)


« Si je fermais les yeux... » (04/09/2018)


« Et les couleurs arrivent ... » (04/09/2019)


L’Absent (1) (02/04/2023)


L’Absent (2) (02/04/2024)
 

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