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Le bar à poèmes
29 janvier 2025

Michel Deguy (1930 - 2022) : Chant-royal

 

 

Chant-royal

 

 

Le poète de profil


Le poète à l’équerre de corps et d’ombre sur les seuils


Le poète Gulliver qui retrace un roncier d’hiver


     avec la pointe de Hopkins


Ou décroit pour accorder l’herbe au zodiaque


     avec compas de Gongora


Génie des contes perses car il refuse l’indifférence

 

Il entretient la lymphe bleue dans le réseau des ormes


Veille zêta espion delta d’Orion sur la branche basse


Œil triplé posé de witch 1 witch 2 witch 3


qui s’envole constellation subite de corbeaux

 

Il est ici pour inventer quelque chose d’aussi beau


qu’un mot saxifrage inventé par personne


S’il cherche un trésor il le trouve


(Imagine un poisson cherchant un poisson dans l’obscurité des mers...)

 

Quand il revient parmi nous dans la transparence


d’hiver où les choses sont des lignes


Quand il rouvre le filon des couleurs à ciel ouvert


Quand il revient sur l’étroite digue hospitalière et


Victoire fendant le sol figé sachant


Que la vie déserte à quelques mètres de hauteur


Quand il retrouve son totem en boules couleur d’excrément


Dans les petits pommiers français près d’où on range les araires

 

Et quand poussé aux épaules par


Comme un transféré


Il longe la rivière invitée au moulin


Le coq sa crête de lilas sont cri à travers


          - L’aveugle


          Il se gante de saule


          Il endosse la rivière


          Et voici      tâtonnant


          Sa main prolongée


          S’avance dans un monde étrange


          Pour lui menaçant pour lui surprenant


          Pour lui seul incroyable toujours


*


Il se hâte vers le désert Un plateau où la flèche est gnomon


Le vide est sa force Le soleil passe comme un anneau nuptial


Entre les arbres généreux il appartient à la déception

 

Emigré qui sculpte un âge il travaille pour


     l’absente sous ses pieds qui dort quand il se lève


Pour regagner une absente de son pays qui veille quand il dort


Le temps est celui qu’il n’a pas de penser à elle

 

Il émigrait l’hiver dans les branches pieuses


L’hiver d’une seule manière multipliée


- les os les mots l’amplitude les pas


les voix l’espace occupé les voyages la justice


et l’injustice les livres où certains mots nous atteignent –


épiant l’invisible entre nous où les figures muent


comme la musique inaudible quand l’ouïe du


musicien débouche

 

Il émigrait faune serrant un pipeau de veines


Syrinx étouffée les vaisseaux creux ramassés devant soi


Où le sang prolonge sa peine. Le cœur venait contre l’oreille

 

*


On veut le faire roi !


          La clientèle des vents le serre


Les cris le portent


          Toute voix veut à nouveau se faire entendre


L’hiver expose les litiges


Un groupe de fleurs attend son tour


Il y a ces écrouelles de lisière Il y a ces ruines


Un joug un front de buffle brûlé


          Qui t’a fait ruine ?

 

La crase des mains apaise droite et gauche


Une pierre attendit deux mille ans Il exauce le silex


Un joueur d’ébonite sur un sillon quoi d’autre


Car les άδυνάια quittant le rêve atterrissent


Tout le réel est possible

 
Les fables parlent comme des animaux

 

*


Ombre de Virgile devenue voix de Virgile


Voix de muse devenue désir et obéissance


Je te suis      écoutant la plainte donnant voix


à l’enfer fraternel Je t’écoute la voix décapitée


attentif au silence continue sous le treillis


pareil au vengeur qui canne la vengeance

 

Je reconnais la souffrance grâce aux lieux


L’herbe ici n’a pas crû La bête est restée

 
Toi je t’écoute Que dis-tu de ta saison ?


Je descends la vallée partageant


                                 Une feuille


remonte vers le village

 

Les stères d’os rassemblez-les au feu


Le tort ? Mais l’homme vous donne la place


Les oiseaux ont des chemins Qu’on relève cette borne


L’eau qu’elle se dessèche en cette place usurpée


        Dénouez les andouilles des acacias lutteur


                  Retirez doucement le bleu cosmos


                  Qui s’est pris aux pals d’hiver

 

*


     Les fleuves,     la perspective


     Les versants,     le fagot des chemins


     Il guide vers un lit de syllabes

 

     Le vent est son fouet


Il favorise la transhumance des

 terres               

                                                                               
Appelle bruit le grondement des sols


     Longeant l’arc ou le ciel


     A centré ses lumières


     Cyprès de paroles alors


     Se dressent et oscillent

 

*


Par ceux qui marchent ici comme dans galerie à


ciel ouvert, (parois d’ormes piliers de grès


sol de terre ciel de ciel) par ceux qui disent


Voici lisière


Le monde avait besoin d’être annoncé


« le royaume est semblable au chemin par exemple


Extérieur au mur bas du château grillagé


Le royaume est semblable à ce lieu


Qui a besoin de parabole pour demeure »

 


Ouï Dire


Editions Gallimard, 1966

 


Du même auteur :


Le golfe (09/11/2016)


« La bulle du ciel… » (09/11/2017)

 

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