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Le bar à poèmes
9 novembre 2016

Michel Deguy (1930 - ) : Le golfe

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Le Golfe

 

Le long été commence où croît et décroît l’ambition

Je vis au niveau des éruptions stridentes des sauterelles

Et parmi les insectes de papier que disperse le vent

Il y a du seigle sur les genoux de l’écrivain et dans son dos

     pleuvent les blés

L’oreille appliquée à la terre entend son sang

Il est le désoeuvré

 

La roue du paysage tourne sous le triomphe du soleil

Les raies blanches du ciel convergent au-delà de la terre

Les îles s’effilochent, la marée décèle des ruches d’algues couleurs

     de débris

Où fermentent des invertébrés

Vois toute la rotation horizontale du golfe,

Le glissement des bocages, le grincement des bornages de genêt,

Rayons verts sur le moyeu de l’horizon !

 

Si je reprends les chemins profonds – faut-il encore s’en entretenir ?

Je vais lentement aux rendez-vous essentiels

Le vent traverse la presqu’île pliant les blés vers l’Est

Partout la mer m’assaille car le vent du large lui ouvre le passage

     entre les haies

Entre les orges entre les châtaigniers

L’Océan épais monte entre les toits

 

Le vent rapide descend les trois hauts degrés des pins, des genêts et

     des blés

Il se rue frôlant les oreilles et passe

Le soleil à reculons fait face  Le soleil acrobate descend du chapiteau

Interminable

Parfois des spectateurs repèrent l’exercice  Mais beaucoup l’été se

          couchent avant la fin

 

Le vent parle trop fort

Dans les trous du vent se glissent les chiens des fermes éloignées

L’alouette ne cesse de tomber   Le vent se fraie un passage

     jusqu’aux premiers rangs des champs

Il enjambe violemment la lisière de paille et se jette aux oreilles

 

Des chiens gardent des chemins sans importance d’où je suis

Les voix qui miment les bêtes pour leur commander

Issues des niches plus hautes où elles veillent sur les biens

Passent par les trous du vent

Hélant pour des travaux sans importance d’où je suis

 

Promenades en vue de quoi ?

Le corbeau sans couleur

La mouette qui arrête le vent

La lune, cirrus obèse, qui marque où le vent ne souffle plus

 

Car il manque au pas la constance du vent

Du vent qui sait aux papillons aux fougères aux nuages

Indiquer la direction

Orienter insistant courber repassant diriger rassembler dans

     son souffle incliner joindre

 - et tout à coup redresser cabrer recourber tordre

Le vent parcourt le site, adjointe et fait communiquer les

     lignes du site

Lui de haut de partout les suit

C’est lui qui trace les sillons du site

 

Tout en moi répond au vent – sauf…

Tout plie sous l’injonction qui assemble :

Les cheveux comme un champ plus dense

Le dos pareil aux troncs, les yeux dessillés sous le sel

Les jambes écroulées dans les pierres

Et la manducation au bruit de charrette ; tout…

Sauf la voix debout qui demande où elle naît ; tout

Sauf la voix étonnée de sa dissemblance !

 

Le grand vaisseau du matin appareille :

Cris de poulies des mouettes ; cordages du soleil dans

     les yeux ; hautes trinquettes des cumulus hissées brassées

     drossées ; un équipage d’alouettes qui survole les basses

     vergues des frênes ; les corbeaux quartiers-maîtres

     Et le grand spinaker de l’orage…

 

Du Morbihan

 

Fragments du Cadastre

Editions Gallimard,1960

 

Du même auteur : « La bulle du ciel… » (09/11/2017)

 

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