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Le bar à poèmes
23 décembre 2024

Vitezslav Nezval (1900 – 1958) : Acrobate

Vítězslav Nezval, photo: Musée morave de Brno

 

Acrobate

 

     Toute l’Europe s’était réunie sur les boulevards

     Un dimanche matin après la Grand’messe

     Les oiseaux avaient abandonné les arbres avec les dépêches écrites sur les

feuilles soyeuses du pommier

     Ce n’était pas seulement les colombes qui distribuaient les cœurs des roses

     Les colombes qui de l’autre côté de l’Océan se transforment en brumes

     Ni la pie à la bague se confondant avec la nuit qui se termine en diamant

     Les grand’mères avec les enfants de chœur

     Les mendiants béquillards

     Les messieurs en habits

     Habits qui étouffent le tic-tac des montres-poussins becquetant la poussière

des soleils d’or

     Tout autour des tables du quatorze juillet de l’avenir de toutes les villes du

monde

     Qui se balancent aux fenêtres – couvertes d’affiches

     Au milieu de la musique des portes des couvercles des douches

     On attendait l’arrivée de l’acrobate

     Qui marchait sur la corde

     Tendue de la cathédrale de Madrid par Rome

     Paris Prague jusqu’à la Sibérie

     Où il a dû planter dans les glaces nordiques la rose rouge d’Europe près de

la rose jaune d’Asie

     Symbole d’un sourire de deux continents

     Dans les Parlements on racontait qu’il s’agissait d’un évènement

diplomatique

     Mais il paraît que cet extraordinaire acrobate était ventriloque

     Qui prononçait dans les faubourgs par les gorges des serins d’incroyables

sentences sur l’art de manger

     Et remplissait les boîtes à poudre des dames avec la poussière qui

métamorphose les races

 

     En sa présence se passaienr des enlèvements mystérieux

     Et une princesse se trouvait soudain nue au milieu de la foule

     Il dessinait par ses culbutes pleines de coquetteries de charmants

acrostiches

     Et la rose rouge devenait bientôt bleue bientôt invisible en passant sans

cesse entre les mains des spectateurs

     Le bruit courait au sujet de cet homme qu’il guérissait en gesticulant les

infirmes

     Et les villages suivaient les processions de béquillards

     Car chaque maison cache un aveugle aveuglé par le miroir qui est le but de

sa vie

     Chaque amour a une oreille sourde aux paroles qu’on dit une seul fois dans sa vie

     Et dont les échos de sang flambent aux brûlantes absinthes

     Et au-dessus des tombes sans lumière

     Et combien la peur des regards d’adieu a rendu de langues muettes

 

     Un trou de souris au moins pour chaque maison et derrière une bougie brûle

     Eclairant la dernière feuille des calendriers sans lecteurs

     Et les lignées interrompues aux pieds de femmes si belles si belles qu’elles

sont mortes sans descendance

 

     Il y a sous chaque escalier un chat noir

     Et aussi des chats jaunes qui courent sur les toits

     Il y a dans chaque caisse l’argent volé au ciel

     Chapelet devant un bocal empoisonné

     Une mèche arrachée dans un jardin trop clair

     Une rose à la bouche d’un mourant sous la potence

     Une dent qui manque au bord du lazaret de l’amour

 

     Les processions s’enveloppaient dans les nuages de l’angélus de midi

     Et les gens qui s’embrassent aux sons d’un orgue de barbarie triste

     Regardaient comme les morts à jeun au fond de leurs tombeaux

     Entre les ballons du printemps au long des promenades

     Entre les bornes des routes sous les feuilles mortes

 

     Mais l’acrobate agitait son chapeau au-dessus des infirmes

     Et appelait les souris des prisons et les crapauds des cimetières

     Et une pluie de punaises rouges comme un coucher de soleil

     Evoquant ainsi l’histoire du monde des anciennes chroniques

     Soudain on entendit le glas funèbre

     Et par la porte qui s’ouvrait sur la longue musique

     La ported e l’hôpital paradisiaque dans les flammes des pots de fleurs

     Sur la charrette des infirmes

     Sortit un petit marin de sept ans sans jambes

     Qui faisait tourner entre ses mains le globe terrestre

     Et se mit à courir avec l’acrobate

     A travers la foule qui s’écartait comme un mur

     Les souris ont disparu dans les trous

     Les crapauds recroquevillés sous terre

     Ont resurgi en plants de lis

     Les âmes des hirondelles sortaient des orgues de barbarie

     Et sur la poitrine de l’acrobate battait des ailes le papillon sphinx

     Comme une cravate frivole

 

     De plusieurs côtés on entendit chanter le chœur des enfants

     Sur les tapis les pianos aux touches immobiles commencèrent à vibrer

     Comme bruissent les étangs dans les jardins

     Beaucoup de vieillards s’écroulèrent en tas de poussières d’argent

     Et les pavés blancs comme aux Fête-Dieu

     Etaient pleins des traces de ceux

     Qui désiraient voir de très loin le Rédempteur

 

     A la fin l’acrobate s’était mis à se balancer

     Sur les ailes du papillon des suicidés

     Il jeta une rose au petit marin

     Dont les yeux fidèles et transparents comme un bon vent

     Coulaient sur les joues

     En regardant l’acrobate qui tombait

     Et faisait voir dans sa poitrine ouverte

     Son cœur noir comme une chauve-souris    

 

     Les agents de police se sont précipités

     Pour faire des rapports exacts sur l’identité de cet acrobate fou

     Qui en tombant a laissé un aveu si mystérieux

     Qu’il faut le dire

     Qu’il faut le crier

     Qu’il faut le chuchoter

     Qu’il faut se taire devant ses paroles si mystérieuses

     Si mystérieuses

     Qu’il faut les chanter.

 

 

Traduit du tchèque par Josef Sima

In, Revue « Le grand jeu, N°II, printemps 1929 »

 

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