Monchoachi (1946 -) : La règle (XXII-XXIII)
La règle
L’harmonie invisible est supérieure à
une harmonie visible »
Souverain
Qui du plus haut
Nous tient droit
Pleinement là
Et sauf, assurément
Accordé à l’ordre de la vie
Dans le riche dénuement,
Nous « configure et instruit »,
Et il faut d’une vue ferme et rassise
Dans l’entièreté
D’un coup saisir
L’ancêtre auquel que le temps
Nul outrage ne fait subir,
Ni tant tout l’immonde fatras
Régimentements et normes au grand jamais
Ne pourront ni subjuguer, ni porter ombrage.
XXII
L’ordre de la permanence
« Mourir, c’est se changer en eau... »
Et dans la bouche du mort on verse un filet d’eau
Et dans la tombe on dispose
jarres et calebasses pleines d’eau
herbe qui est venue dans l’eau,
Et sur le tombeau on verse de l’eau,
Qu'il continue à parler là où il va
qu’il se soulève sur son côté droit
qu’il fasse frémir sa narine
qu'il se gorge de bière d"épeautre rouge
Il est maître désormais de la terre
et de l’eau, de la brousse et des animaux
A présent gardien de l’offrande,
gardien du lieu
gardien de la présence, de la permanence
il veille
Afin que soit transmise
rété, l’habiter en vérité,
présence et permanence
Afin que la parole soit dite sans cesse
qui abrite l’origine
qui refuse l’oubli,
Répétée sans perte et sans altération
Ni mère ni filles aux bordages des charniers,
Pas question lesditelles voir creuser sépulcres
Pas quèssion pas pliss ! voir enfouir dépouilles
Ni quèssionner les morts,
Ni sur la tombe boire la bière de mil,
Ni du cimetière entendre le bruit de la hache,
qu’elles se tiennent au loin
à elles porter leur pleur,
à elles aller puiser eau dans marigot
leurs bouches luisent
elles sont eau et ruisseau,
elles sont eau et flot
elles sont fleuves et lagunes,
à elles fringuer le mort d’eau mentholée,
à elles enduire son corps beurre karité
à elles le ceindre d’un cordon de hanche,
Qu’elles se tiennent au loin
tête rase, blanchies de plénitude,
Qu’elles se tiennent luisantes au seuil des naissances,
Qu’elles se tiennent frémissantes aux deux rives
sous les branches de sycomores à myrrhe,
Afin y disposer les eaux,
afin en délivrer les incessants reflets
Afin laisser la chose étendre son corps
là devant
sur les bords du Yom
où infiniment se recueillent
ciel et eau rassemblés.
XXIII
L’ordre du commun
« La pensée est commune à tous »
Dans l’arbre pur est taillée la pirogue qui
ouvre la voie au deuxième monde
tient ensemble rhaut-et-bas
amont et aval
ouvre passage aux loa.
L’arbre est le premier monde
Réunis et serrés les arbres sont des dieux.
La grande mygale, au-dessus de son terrier, dispose l’oracle.
Le caïlcédrat tombé du ciel, première épouse de la termitière.
Dans l’écorce,
salive et souffle du dieu.
La Manman-Loa pulvérise
eau caïlcédrat sur femmes en transe,
eau caïlcédrat sur l’enclume l’aînée filles souverain
ion qualité bidim bagaille
carreau
où battre le fer mâle
Tombé du ciel un petit homme prédit les nuées de sauterelles,
(Quant à la vieille femme, elle fabriquait du sel avec la cendre).
La Mante rachèuse poèls, émissaire de dieux,
tout comme le joli petit serpent bleu crié chihoundjé.
Le dieu des rivages qui hante les plages de sable
en se déplaçant trace les signes sacrés.
Quand la foudre atteint un arbre sacré
on emprunte des cauris
on frappe les funérailles
L’arbre est comme une personne.
Avec la lune s’éveillent les lucioles (les doubles des défuntés),
Les femmes sont fécondées, les jardins fertiles
Les initiés frictionnent leur corps avec leur chââme.
Croisée quat’chimin : carrefour la Voie Lactée
qui en rhaut ciel,
fait le partage dans Toutes Choses
dispose
la bitation chaque des quatre épouses
Autour de l’Epoux
ET
côté pou payer patente, côté pou laver tête.
côté pour manger marassa,
côté pou poser-paquet’-prend-point.
Anneau serpent lac
lové-bigarré
barrent les chemins droits.
(« ... la vérité tellement circulaire ».)
Titubant,
divesses dialectes
les malfeintèuses
par les chemins tamboulent
incarnés-désincarnés- réincarnés
« Le vent couche les joncs sur les eaux,
Aucun vent n’est le vent du roi ».
Les paroles trassent et enroulent le chemin qu’on suit.
Tous, dieux et hommes, ont en commun le commerce, le signe.
Partition noire et bleue (Lémisté 2)
Editions Obsidiane, 2015
Du même auteur :
Manteg (26/02/2021)
L’eau (I-V) (26/02/2022)
L’eau (VI-IX) (19/08/2022)
Le lointain (X) (26/02/2023)
Le réel / Le jeu (XI – XV) (19/08/2023)
Le réel / Le jeu (XVI – XXI) (26/02/2024)
La règle (XXIV) (18/08/2024)
La règle (XXV) (18/08/2024)