Loys Masson (1915 – 1969) : Poème du 20 Avril (2)
Poème du 20 Avril
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Simplement comme le merle est simple et chaud en ses noces,
Par la grâce d’un enfant
Eut la neige doigts plus tièdes que pluie tombée
Sur le poil du saule ?
Simplement, comme au nid simple couve aujourd’hui la tourterelle
Comme le pivert cloue
Il y avait chaque jour au village du bout des chemins du gel
Le printemps m’attendant au fond d’une cour.
Simplement dès janvier vinrent la huppe, le loriot
Vint la linotte aussi
A gauche de mon cœur en leur plumage le plus beau
En leur vêture -pensée, et là ils s’assirent
Et ils chantaient ;
Et le chèvrefeuille tout simplement y fleurissait aussi
Et l’aubépine plus blanche qu’en mai
Pour l’amour de cet enfant petit
Dont la présence leur était plus tiède que pluie tombée.
*
Voici, voici le mois et le jour ! Aux tempes de la prairie la pensée revenue
cette longue veine bleue qui sinue jusqu’aux peupliers – et là elle s’incurve
un peu
vers la mare où les grenouilles fraient ;
dans la moire désirante de l’eau la saulaie à la gorge nue.
Sonne, sonne la gentiane au fonds des allées du fertile, c’est le retour de
l’aveugle.
Par le pré plat et chaud comme un ventre de fille avant que l’été ne le
boursoufle de meules
l’haleine renouvelée de la taupe a réveillé la souris précise
Et la guêpe ondule
le frelon franc désarmé, le papillon de deux mouchoirs pour la bienvenue
de la haie
les trois soies de la sitelle au fuseau de la fauvette
la girandole du troglodyte.
Dans ce monde soudain réconcilié de rapprendre à avoir une ombre, sur la
main droite de mon ombre l’alouette
l’abeille, la libellule
et cet oiseau né de mon printemps, si proche de moi que je ne le reconnais
plus
Hosanna !
L’horizon tresse des corbeilles, la terre a l’odeur chargée des rousses.
Le museau du vent du matin, c’est chien de haute race – c’est contre ma
poitrine qu’il souffle
Il m’aime, je connais son nom secret, il vient à ma main à ma voix
ici et encore ici et ici
ici
Il courbe son échine souple, je le caresse, de mes doigts coulent le narcisse
et l’anémone où la cécité du premier mauve profuse le parfum-toucher le
plus sensible qui soit.
Hosanna, hosanna ! je ne tâtonne plus, je ne tâtonnerai plus aux marches de
la saison
Je vois clair à jamais
Je suis toute une foule en moi
Je t’ai allumé haut cierge mon garçon
La glycine est prise aux cheveux de la vigne vierge, c’est le signe des joies.
Même si le soleil n’était pas revenu j’aurais été au rendez-vous, tout ce
serait déroulé de même façon
ta première année rêve-goélette sur le golfe du miel
toutes les ruches en mouettes-cortèges
- les quinze ans de mon amour au profil du liseron.
Viens, viens dehors que mon amour te mène. Regarde la beauté du monde
Jusqu’en sa plus profonde veine il est amour.
Voici le mois, voici le jour roi des jours d’avril ! la fleur de communion, le
lis
ouvre les mystères de l’allée :
Tout ce matin retourne en toi à la pure forme humaine
Tu es le serment de toutes choses
d’aimer.
Ecoute la rose, écoute le chêne – l’oiseau, la fougère, le long érable en son
désir du nuage
La poussière au front du jardin a pris visage : écoute aussi, c’est qu’elle te
parle
Et l’esprit des pluies vaque en ton nom à ses pluies d’avenir
à ses calmes alluvions.
Viens, oui, viens, que mon amour te guide, mon amour de tant d’années
amour d’aujourd’hui
Regarde, il n’est pas besoin de comprendre
Rien, rien que la beauté
rien que la bonté ;
Il n’y a plus de mots – le langage est devenu source, est devenu lait ;
le printemps et toi et toi et le printemps
à la marche de mai.
L’orage aux fraîches ventouses
Il est dans l’ouest, l’air devant lui se plume
De douce pluie.
Je te donne pour l’attendre le cœur du trèfle rouge
Je te donne le nid de la perdrix
La pie
Je te donne la ronde luzerne
Le souffle pressé du rosier
Avant l’éclair.
Il luit. Voilà qu’il a tonné.
Tout se métamorphose
Cette rose n’est plus une rose
Ni porte-rose le rosier,
Mais une étrange étrange présence
Du pays d’avant le temps
Et tout est à l’unisson
De la changeante rose blanche.
Car rien n’est vrai ni faux
Dans le printemps :
Chacun est multiple vérité figée
L’amour et l’éclair le délivrent
L’espace d’une liberté
Qui est d’être un autre.
- Je te donne la clef des enchantements
Je te donne la clef. La lumière contre ta peau je l’entends respirer
Tant de bras étreignant ton ombre
tant de bouches sur tes mains posées
- et du tilleul descend une vapeur blonde
qui sent l’écorce la fleur la patience et le nid :
Je ne saurai plus jamais être quitte envers l’odeur maternelle du monde.
Revue « Esprit, Janvier 1957 »
Du même auteur :
« Je n'ai jamais connu dans sa vérité… » (25/07/2014)
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