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Le bar à poèmes
9 août 2024

Loys Masson (1915 – 1969) : Poème du 20 Avril (1)

Loys Masson et Marthe Romains

 

Poème du 20 Avril

 

     Longtemps avant que ne m’arrivent aujourd’hui si matin cette douceur, ce

rayon bras sur bras passé de l’étoile et du point du jour ;

     longtemps, longtemps avant que n’aient surgi du souffle la poitrine de

tempérie et la longue tête et l’épaule pascoure – cette aubépine, son vêtement

saint ;

     avant même la fin d’hiver et le jeune dégel au dédale des jardins, au temps

de la mésange encore blessée d’amer et de l’absente hirondelle déjà je savais

     que je me lèverais en ce jour du mouvement éternel et sûr de la marée

     toutes mes épaves à jamais derrière moi

     corrodées, effacées –

     Et que je remplirais de l’amour de mes yeux le monde, à côté de moi ces

étoiles nouvelles plus petites les yeux de mon enfant

     en marche tout deux vers ma femme et la saison, ces saisons parallèles

     s’ordonnant aux feux prochains d’été...

     Ce jour, je veux le vivre jusqu’au sang. Dans la moindre pousse et la

moindre herbe et la branche, dans le moindre pollen flottant

     je serai ;

     dans la groseille candeur coeur acide saveur captive attendant l’exeat des

feuilles

     et dans la source et le champ et le bois et la vigne et l’odeur

     dans la herse d’aiguë douceur et le premier arrosoir jeté chevelure sur la

prime chaleur –

     partout et tout à la fois à genoux et glorieux

     adoré adorant,

     immensément fertilisant et buvant la fertilité au grand verre d’argent

     de la présence d’un enfant.

     Je veux vivre, vivre en ce jour jusqu’à l’extrême de sa vie et de la mienne,

     que rien ne soit que je n’aie d’abord enlacé dans son aurore,

     à qui je n’aie donne la vie moi-même

     père frère et pâture.

     C’est moi cet homme là-bas lourdement marchant et qui cherche quel franc

dialogue il va engager avec la graine pour qu’elle germe, c’est moi le mur

doux-croulant soudain amoureux en son milieu de la glycine

     moi la voix, moi le jeune élément qui rit dans les quatre élémentaires

     la labour, la foi ;

     l’intrusion du rayon descendant épouser la racine et qui remontera ce soir

emportant pour la nuit le spirituel de l’arbre

     tout un graal de longue sève à répandre demain sur le poème.

 

     Moi le talus encore frileux et le fossé

     moi dans la motte ancienne que la pioche réveille, retrouvant dans le soleil

son origine sainte – astre obscur  sous l’anneau satellite d’un orvet

     Moi

     et cet enfant cette femme mon amour

     jamais ne nous perdant à tout instant nous rejoignant

     partout et là encore et là-bas

     trois dans la solitude qu’aménage chambellan des recueillements d’avril à la

longue dague de brume tremblée le héron gris sur la rivière, trois dans cette

avance à l’infini sur la prairie d’une pacifique armée verte

     au siège de la dernière jachère citadelle ;

     Trois et nul n’est à la première place nul à la dernière

     moi mon amour mon garçon.

     Est-ce moi qui édicte, est-ce lui ou encore ces yeux où tient ma part de

lumière, où si longtemps elle a tenu ?

     Ceux-ci, celui-là avec la saison si étroitement confondus

     et moi

     que je ne sais plus si je me nomme printemps ou si c’est le temps,  si c’est le

temps qui s’appelle loys

     Et j’ordonnance d’amour et voici la bonne loi :

 

          Pour l’enfant –

          La jacinthe sera la première

          Là il sera gardien des cytises

          L’ombelle rêveuse aventurière

          D’un conte que la prairie raconte.

          Le chèvrefeuille avec sa fronde

          Visera la pluie quand il fait chaud pour qu’elle tombe.

 

          Tout là-haut à la fontaine-christ

          Le cerisier mènera rougir ses cerises

          L’anémone sera le cou

          Du temps, deux œillets ses deux genoux.

          Le Christ-enfant dans l’églantine

          Afin qu’Hérode en la pierre du portail

          Ente deux larrons-azalées

          Pour le saint jean d’un jasmin vaille que vaille

          Fasse avancer la matinée

          Vers midi de la croix flambée.

          A traire le lait des primevères

          La jonquille sera occupée

          En diligence bergère

          Pour son plaisir jusqu’à l’été.

 

          Pour mon amour sera dans les fourrés

          La fleur étrange et sans nom

          Tout comme elle ancienne et nouvelle

          La pluie en tombant glissant sur l’airelle

          S’en imprégnera en chaque goutte perlée

          Chantera airelle le plus doux son

          La plus tendre merveille,

          Chantera l’airelle et c’est le son

          Du cœur printemps battant après elle.

 

          Pour moi les serpents d’eau

          Dans la voix du gorge-bleue mirés

          Sages serpents déserpentés...

 

*

     Je me souviens de l’hiver et des bannières du froid, blanches, aux aigles

d’insensée transparence

     balancées sur l’écaille des fontaines.

     La contrée du gel s’ouvrait devant moi en lent silence, comme d’une porte

que seul aurait poussée l’esprit d’une main – c’était le pays du mi-mourir ;

     Au seuil, un christ d’ongle sur une croix d‘ongle et de saphir

     cloué de clous d’os.

     Il agonisait trop droit, sans plus rien d’humain, sans même un soupir qui me

reliât à la Promesse

     et ne mourait pas

     et me regardait et regardait l’homme et la bête et la plante de l’infini de ses

yeux plats,

     de la miséricorde prisonnière du givre de son côté...

     Tout se rétrécissait jusqu’à la haine.

     tout de sommeil creux et d’aiguilles ;

     La mort égarait sa caresse sur une vie qui n’était plus qu’à moitié mortelle,

sur le glacis de l’immobilité assise dans le poids ;

     Très loin l’étourneau et le corbeau sentinelles rois noirs régissant le gui

     d’un impossible janvier...

     Parfois

     d’absurde connivence avec moi la neige s’essayait à agrandir la terre

     vers tout ce que je croyais pouvoir retrouver, ré-aimer :

     Une amère géographie, un continent pâle sans le levain du chiendent serre-

souvenir

     et qui s’aplatissait encore à mesure que je marchais vers lui, que je nommais

(que je croyais nommer)

     des visages et que seul me répondait mon reflet glacé démesuré.

 

     Je me souviens de l’hiver et de ma vie. Qui connaît l’infini de la sentence

portée dans une goutte de pluie que le gel a saisie

     pupille fixe et dure qui mourra dans sa larme ? Chaque année ainsi j’étais

jugé et le pardon de mars survenait trop tard, inutile, quand les yeux

innombrables et justes étaient partis

     et l’hiver me restait, menace, passé-péché à renaître de mon avenir.

     Qui a pesé aux balances de damnation le poids de l’absence du loriot

     le poison condamné endormi sous l’arête des mares

     la ruine de la rose et le sommeil de l’escargot ?

     Qui

     a senti contre soi-même résonner la hache là-bas dans la futaie où l’arbre ne

se défend plus de ses génies verts et de ses nids ?

     agonie...

     J’étais cet homme-là. Chaque année quatre mois au pays du mi-mourir avec

ma blessure blanche

     - Et il fallait ensuite si durement revenir !

     les ruelles du renouveau pour quel Lazare pavoisées ?

     pour qui ce frai de rosée dans l’ombre des nouvelles branches ?

     le printemps surprise mi-poisson mi-oiseau,

     tout moi-même à rapprivoiser...

     Je me souviens de l’hiver. Mais cet hiver ne fut pas comme les autres.

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Revue « Esprit, Janvier 1957 »

Du même auteur :

 « Je n'ai jamais connu dans sa vérité… » (25/07/2014)

Symphonie 1959 de Paula (21/05/2017)

Poème à mon père (21/05/2018)

 

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