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Le bar à poèmes
5 mai 2024

François Cheng (1929 -) : Neuf nocturnes

Eric Fougere/© Eric Fougere/VIP Images/Corbis

 

Neuf nocturnes

 

I

Apprends-nous      nuit

A toucher ton fond

A gagner

               le non-lieu

Où sel et gel

               échangent leurs songes

               où source et vent

Refont un

 

II

Nuit qui réunit

Nuit qui désunit

Qui diminue

Qui démunie

Rien qui n ’y soit à jamais aux abois

Aux abois ceux qui s’éveillant se souviennent

 

Car la nuit avait beau tendre sa toile

Sur l’océan s’est égarée une voile

 

Nuit qui guérit

Nuit qui essuie

Qui démultiplie

Qui désemplit

Rien qui n ’y soit désormais à l’abri

A l’abri ceux qui s’éveillant reviennent

 

Car la nuit s’est déchiré le voile

Une seule flamme unit toutes les étoiles

 

III

Celui qui dort avec la nuit

Tâte la chaleur des racines pourries

Hume le vol de la chauve-souris

S’aveugle au cri du Loup-Céleste

Se blesse à la pointe des éclairs

Se transforme en rosée de sang

 

Pour ne plus mourir avec l’aube

 

IV

Du fond de la vallée

Vaste est la nuit

Après l’éclaboussure du sang

               sur le manteau de lavandes

Le tocsin du couchant

               ébranle les rocs en extase

Puis vol de corbeaux

               puis

                        silence

 

L’éternité s’installe

               entre louve et chienne

Seul le vent sème l’instant

 

Un rien alors se met à grandir

 

Du fond de la vallée

Vaste est la nuit

Un son de flûte

               né des entrailles

Monte vers la voûte ardente

               longuement l’envoûte

                        soudain la traverse

 

S’abîme dans l’obscur

De tout son lointain

L ’astre touché

Vient envelopper le corps

Peu à peu

               brûle les cheveux et les ongles

                        fait fondre chair et os...

 

De la nuit ne reste plus

               que l’inouï battement

du cœur

 

V

La vraie gloire est ici

Nous passons à côté

Quelques jades croquées

Et maints lotus mâchés

Au travers des ténèbres

Nous ne périrons pas

 

La vraie vie est ici

Nous passons à côté

Mousse au limon mâché

Lave ou glace croquée

Mourant de nostalgie

Périrons-nous un jour

 

La vraie voie est ici

A côté nous passons

Nous aurons toujours soif

Et toujours aurons faim

Au travers des ténèbres

Jamais ne périrons

 

VI

Clair arc tendu

Par quelle lune

 

Tu n ’en as cure

Cri d ’oie sauvage

 

Silhouette en feu

Unique trait

 

Perçant la nuit

Flèche de sang

 

VII

 

Les crapauds

               ont aboyé la lune

Les corbeaux

               ont dévoré la lune

 

L’araignée seule

               a défait refait

                        fil à fil

La toile d’ombre

 

Pour capter sans faille

               en ses mailles

Les sangs rompus

               le secret tu

 

VIII

Ici

Tout sera un instant

Recueilli

 

Tout d ’ici

               et d ’ailleurs

 

Écoute donc

Le souffle perdu

Le sang répandu

               de l’espace charnel

 

Et vois

L ’étoile filante

               ouvrir à nouveau la plaie

En sa chute d ’extase

 

Infinie

 

IX

Par-delà

          Tout

 

Nuit de suie

Suie de nuit

 

Entoure-nous

          de ta torche

Consume-nous

          de ta torche

 

Nous-mêmes torches

          tu es souffle

Nous-mêmes suie

          souffles-tu ?

 

Suie de nuit

Nuit de suie

 

Tout delà

          par...

 

 

Revue Po&sie, N°65

Belin éditeur, 1993

Du même auteur :

Un jour, les pierres (I) (15/052014)

« L'infini n'est autre… » (15/05/2015)

Un jour, les pierres (II) (15/05/2016)

« Demeure ici… » (15/05/2017)

Un jour, les pierres (III) (05/05/2018)

L’arbre en nous a parlé (I) (05/05/2019)

L’arbre en nous a parlé (II) (05/05/2020)

L’arbre en nous a parlé (III) (05/05/2021)

Cantos toscans (I) (05/05/2022)

Cinq quatrains (05/05/2023)

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