Yves Prié (1959 -) : Le désir d’une île
Le désir d’une île
En quel temps sommes-nous ?
Entre ombre et soleil
quel espace pour nos rêves ?
L’ancre lancée dans la nuit
fixe enfin à une autre rive
le nœud incandescent
de l’angoisse
Seul l’agite
le bruissement des saules
L’île connaît le poids
de ses pierres
Par leur débauche de couleurs
elles inscrivent
la violence de son émergence
Dans la faille
brisée du jour
elles meurent
de leur dernier éclat
Je dirai le monde
je révèlerai le soleil noir
qui ronge les marées
l’orange amère des nostalgies
et la solitude de l’oiseau
dans son vol
Je dirai l’instant
où le rivage disparaît
dans l’à-pic d’une falaise
L’instant où le monde
nous abandonne
dans la furie d’une vague
espérant le gouffre
Rejoindre la haute mer.
Là-bas nous abandonnons
les repères
livrés aux seuls hasards
du vent
Nul amer pour indiquer
le chemin
Toutes frontières abolies
nous nous fondons
dans l’espace
l’œil attiré par des astres
éphémères
Nous serons là
au creux des plis de la terre
Le soir se recueille
dans l’écho des tempêtes
Nous serons veilleurs
simples figurants
d’un monde qui nous échappe
Notre regard s’éteint
dans l’horizon
que le murmure
de notre passage
livre à l’espace
immobile
Oserons-nous nous confronter
dans une lutte désespérée
avec les démons
inventés dans les hauts-fonds
Un vent de sable
brouille le regard
et poursuit
le lent travail de l’oubli
*
Entre terre et mer
dans un ailleurs indéfini
l’espace nous abandonne
se referme en ses démons
Seule la lumière
caresse le dos des herbes
répliques apaisées de la vague
Il reste une ombre
une menace
qui guette nos enthousiasmes
Le monde serait-il clos
dans un visage
que la pierre transpire
Nous ne serons rien
dans ces remous
Brins d’algues
éclatés au front de la pierre
Le temps s’allège de nous
Je ne sais plus
où la terre
où la mer
Sombre renaissance
d’un monde condamné
à la foudre
aux battements chaotiques
des laves
Il nous reste à inventer
l’au-delà des séismes
Le désir est une plage
qui s’égare
dans le secret des failles
Carnets de l’île et autres poèmes
Editions Rougerie, 87220, Mortemart,2021
Du même auteur :
Esquisses pour un hiver (09/03/2016)
Glanes (10/03/2017)
« Ce fut une longue attente… » (10/03/2018)
« Que nous soient rendues... » (14/01/2020)
« Fumées lentes sous la nuit... » (14/01/2021)
Passage des amers (14/01/2022)
L’atelier du peintre (14/01/2023)
Rumeurs du temps – Mélancolies (14/01/2025)