Yves Prié (1959 -) : Passage des amers
Passage des amers
Le paysage ne fait pas la mélodie
mais il donne le ton.
André SUARES
Je ne sais rien
De la mer et de ses îles
Sont-elles passages
Pour un ailleurs que le vent ouvre
Au gré des courants
Le paysage hésite entre ombre et lumière. Il y
aura toujours un espoir errant sur le monde
– une longue phrase guettant son écoute –
le temps passe et épuise notre attente. Mais,
ce soir, l’horizon est posé, là, familier, dans le
couchant, le vent est immobile dans la trans-
parence de l’eau. Le silence capte la lumière ;
j’apprends la mer, ses assauts qui brûlent la
pierre.
Remous entre ciel et terre
Une vague assaille l’horizon
Sa crête un instant
Ronge l’air
Ferons-nous le compte des heures
Passées à fixer l’horizon
Il y a trop de pierres
Trop de vagues
Nous nous étonnons de ce monde
Suspendu à l’hésitation d’une falaise
Son existence est figée dans le vide où
Terre et mer s’ignorent
Ce soir
A son flan un arbre consume le couchant
Au cœur de la nuit nous connaissons le doute,
l’aspiration des grands fonds ; elle inhale la
senteur des remous, nous touchons la pourriture
des déchets. Le monde claudique, heurte les
falaises, arrache la pierre comme le réprouvé ses
haillons. Il n’y a plus d’horizon. Seulement la
boue des cauchemars recouvrant la peau du
sommeil.
Il y a un feu sur le rivage – vestige des naufrageurs
ou appel au retour ? Sa flamme use l’air et tient
la nuit en éveil. Le voyage touche à sa fin, qu’en
restera-t-il ? Tu auras rapproché d’autres marges
et appris à reconnaître le visage de l’homme.
Tu te souviendras de l’exilé essayant de sauver
du crépuscule l’ombre de ses enfances ; étrange le
chant ainsi enfanté dans les vanités de l’histoire.
Où va le sable s’échappant de la main ?
J’approche mot à mot
Un horizon inconnu
Ce n’est que le temps qui heurte le hublot
Un bref répit entre
Marée et crépuscule
Entre écume et brume de mer
Passager précaire
Je devine la houle du rivage
Une mouette dessine l’horizon, son vol immo-
bilise l’instant. Que savons-nous du temps
qu’allonge le retournement du sablier, du
regard égaré dans le taillis brisé de la beauté ?
Nous sommes ce point dans l’espace, fil tendu
sur l’abrupt des falaises.
De nos folies subsistera-t-il l’écaille des nuits ?
Un feu là-bas
A la limite du regard
Nous ne sommes qu’une île
Sur la frange du temps
Recousant les rives de la mémoire
Remuant fonds et sillons
Dispersés dans l’infini du regard
Lueurs éphémères
Il nous reste de ce passage l’image d’un bel
automne, d’un feu consumant les dernières
miettes du jour. Nous avons confié à nos
regards aveugles les frontières qui inquiètent
nos veilles. La nuit ne nous protègera plus ;
nous naviguons dans le doute, l’absence des
rivages. Quelque part la certitude d’un havre
nous attend, pour l’heure contentons-nous de
la promesse des cartes établies une fois pour
toutes comme seules limites à nos errances.
Personne ne se souviendra de tes mots. Ta voix
s’évanouit dans l’eau, elle ne restera qu’une
vibration frôlant la pointe d’un rocher, comme
une incision sur la pointe de l’air. Rien de grave
dira la radio marine, juste un écho sur les écrans.
Carnets de l’Île et autres poèmes
Editions Rougerie, 87220, Mortemart,2021
Du même auteur :
Esquisses pour un hiver (09/03/2016)
Glanes (10/03/2017)
« Ce fut une longue attente… » (10/03/2018)
« Que nous soient rendues... » (14/01/2020)
« Fumées lentes sous la nuit... » (14/01/2021)
L’atelier du peintre (14/01/2023)
Le désir d’une île (14/01/2024)
Rumeurs du temps – Mélancolies (14/01/2025)