Yves Prié (1959 -) : L’atelier du peintre
L’atelier du peintre
Je garde de l’île le souvenir de ses grèves et de l’ombre absorbant le paysage.
Le silence de la mémoire ouvre l’horizon ; le peintre par ses gestes restaure
l’offrande des couleurs. Le vent, dans ses crayons, lave l’horizon. L’été affranchit
la falaise de ses pluies. J’apprends dans les méandres du dessin.
La vague en son estuaire ignore les doutes de l’amont, les replis de la rivière
égarés dans l’anse d’une terre apaisante. Un enfant affronte les brumes d’une
aube froide et y traque l’hypothétique éclat d’une écaille. La ligne, bien repliée,
portera longtemps la trace de l’espoir envolé.
Mais au large, sur la mer, ce sont d’autres combats entre lumières et ombres des
profondeurs. Au silence des berges lentes s’oppose la rumeur sourde des reflux,
le râle de la vague sur l’arête d’un récif, l’aimantation du soir sur l’acier de la mer.
Le peintre arrête son geste, interroge ce qui naît sous sa main. Sera-t-il le visage
inquiet de cette séparation ?
A même le sable
à la recherche de la pépite
qui réchauffera son regard
Sait-il que le soleil
à l’aplomb
chasse les présages funestes
Le monde se rit
d’une aube improbable
Au front enténébré du jour
il oppose la noble résistance
de saisons patientes
En cet instant
partage des eaux
Qui de l’amont ou de l’aval
retient l’autre
Laissant le vent
lisser la crête des vagues
Il lui fallait voir
et rêver le monde
Aiguisant l’outil
qui fauchera l’averse
des jours ombrageux
La rumeur est là
sourde et active
dans l’attente
des changements
que révèlera l’aube
le rivage est un enclos
où se livrent
des combats heureux
L’hiver est un livre ouvert
dans les tempêtes
Il te revient de rassembler les signes
Accorde ton chant
aux angoisses de la nuit
*
L’éternité sera
l’instant où le paysage
s’est ouvert à ton regard
dans le vertige du silence
Dans l’incessant remue-ménage
de terre et d’eau
Dans la fracture des falaises
à l’aigu du désir de vivre
Il heurte le papier de ses rages
Immortel langage
de mots et de couleurs
laissant
le jour se perdre
dans les incertitudes
de l’ombre
Et toujours renaître
réinventer le monde
dans les plis du rocher
où la vague creuse l’abri
Le monde est là
son regard n’y trouve
aucun repos
Le feu ronge ses nuits
il aurait préféré le naufrage
Un voile dans ses yeux
ternit à jamais le jour
Carnets de l’Île et autres poèmes
Editions Rougerie, 87220, Mortemart,2021
Du même auteur :
Esquisses pour un hiver (09/03/2016)
Glanes (10/03/2017)
« Ce fut une longue attente… » (10/03/2018)
« Que nous soient rendues... » (14/01/2020)
« Fumées lentes sous la nuit... » (14/01/2021)
Passage des amers (14/01/2022)
Le désir d’une île (14/01/2024)