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Le bar à poèmes
31 août 2023

Dominique Sorrente (1953 -) : Ballon Rouge en contre-plongée

arton822-4ccde[1]

 

Ballon Rouge en contre-plongée

 

évocation d’une première fois,

avec le moyen-métrage Ballon Rouge

d’Albert Lamorisse,

palme d’or du court métrage

au festival de Cannes 1956

 

Séquence 1

 

Ballon ne parle pas encore,

ne parlera jamais, mais on ne le sait pas au début,

pas encore.

 

Ballon en contre-plongée,

frêle, rebondi pourtant, il est tout au-dessus,

il tourne dans un sens, puis dans l’autre,

il n’en fait qu’à sa tête,

joueur, et tant mieux, ballon,

 

et puis rouge, ballon, ma couleur,

surtout quand les phrases poudroient,

rouge, voulant qu’on le reconnaisse

au milieu des couleurs,

 

il va sa vie, ballon

qui s’es gonflé tout seul, ou bien

on ne sait par quelle bouche,

 

va sa vie,

s’élève, à juste hauteur, pas loin d’être repris,

mais hop, souple,

il remonte les marches à Ménilmontant,

il dit oui sans chronomètre,

 

s’arrête devant l’école, n’ira pas en classe,

salue les gardes suisses qui paradent

à l’entrée de la lourde église,

suit la plateforme arrière de l’autobus, ballon visite

son quartier du monde,

entre par la fenêtre, pouvoir de ballon flottant,

 

rouge ballon,

 

mais les méchants se forment en bande,

sortent de derrière la rue,

pas besoin d’un rocher pour vous ouvrir la tête,

juste une épingle, on se dit que

fragile, souple dans l’air, mais fragile,

 

échappera-t-il, on se dit,

 

échappera-t-il, voudrait le pousser

dans les vents,

 

combien de temps le bonheur

sera-t-il sauvé dans les airs,

arraché,

hors de portée des attrapeurs,

 

échappera-t-il,

mail il y a des yeux dans les murs, dans les arbres,

ça monte et ça descend

dans les ruelles, çà sent le guet-apens,

 

ça court, ça s’ épuise, pure perte,

et voilà...

 

Ballon crève, blessé en cloques,

se vide, fripé, échoue,

ne ressemble plus à rien,

meurtri, fripé ; baudruche gaz perdu,

pas juste.

 

Et voilà, caoutchouc latex informe.

Pas plus que squelette d’os.

Pas même bon à ranger

à l’enterrement du monde

ou dans un fond de placard.

 

Adieu ballon, adieu rouge.

 

Sanglote sur un fauteuil,

à moins de sept ans,

apprend qu’on retient ses larmes sur l’accoudoir

l’enfant qui regarde l’enfant..

La tragédie pleurnichante, promis, ça ne sortira pas

de cette salle noire.

 

Plus tard, il se dira que la fable de l’innocence

fichée en terre

a explosé là, à ce moment précis.

 

Mais l’histoire n’est pas finie.

Plus haut, ça veut dire

autrement,

on doit tourner les yeux vers au-dessus des toits,

plus haut

 

contre-plongée,

 

tous les ballons du monde ont appris la nouvelle,

volent au secours du malheureux, deux, trois,

puis dix, puis cent huit, puis mille trois cent vingt

et quelques,

 

cette fois, un autre monde se soulève,

 

les méchants du film peuvent bien ricaner,

planter des clous dans leurs cerveaux,

ils ne l’atteindront pas,

bien fait, tant pis pour eux,

 

ici le film se termine

à générique ouvert,

sans le mot fin pour le tenir,

dans l’étrange consolation qui appelle,

 

ballon,

ballon,

des milliers maintenant,

ballons à l’infini,

 

c’est l'heure de rallumer la salle,

suivre l’ouvreuse lampe de poche qui sourit,

sucer un eskimo, échanger les goûts de praline, chocolat,

noisette, avaler la forme qui fond

jusqu’au bâtonnet pour la langue,

 

c’est l’heure de remonter au réverbère,

 

rouge

ballon

ami

insaisissable.

 

...........................................

 

In, « Poésie et cinéma »

Revue Bacchanales N°56, Octobre 1956

Maison de la poésie Rhônes-Alpes,38400 Saint-Martin d’Hères

Du même auteur :

Lettre du passager (31/08/2019)

 Citadelles et mers (31/08/2020)

L’Apparent de lumière (31/08/2021)

Ephémérides (31/08/2022)

Le dit de la neige (31/08/2024)

Commentaires
M
Bonjour Bernard, votre page FB a disparu!! allez-vous la faire ré-apparaitre?<br /> <br /> belle journée
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